Le capitaine Viannay a étudié la science de l'homme au service de l'organisation d'une armée moderne (cf. numéros d'avril et mai 1950 de la Revue de Défense Nationale). La psychologie militaire a d'autres champs d'application que l'organisation technique de l'armée. Elle contribue également à tenter d'organiser scientifiquement le moral à l'intérieur même des Armées : c'est l'objet du présent article.
Psychologie militaire et réalité combattante
La psychologie militaire, profitant de l’avance scientifique et empruntant souvent des détours inattendus, ne poursuit en fin de compte qu’un seul objectif : exalter l’efficacité combattante. Cette démarche répond-elle à un besoin réel et urgent ? Le rôle du facteur humain dans la bataille mérite-t-il quelque attention quand la puissance matérielle conditionne si éminemment la victoire ?
Il faut bien reconnaître que, malgré les apparences, cette question n’a reçu que récemment une réponse décisive. L’histoire militaire consent rarement à abandonner le domaine des spéculations stratégiques pour se pencher avec modestie et réalisme sur les conditions psychologiques particulières au combat et examiner leurs répercussions sur le rendement de la bataille. Les grands capitaines l’intéressent bien davantage que le soldat. L’anecdotique, l’exceptionnel, monopolisent ses commentaires et trahissent l’origine frauduleuse de ses généralisations. Ses formules lapidaires, souvent grandiloquentes, encombrées de considérations éthiques, paralysent le progrès analytique. De leur côté, les professionnels militaires qui, par expérience directe du combat, reconnaissent l’existence d’un problème humain, hésitent à en préciser la portée. Pressentant son importance, ils ne possèdent pas les éléments qui le situeraient à son rang hiérarchique véritable parmi les facteurs de succès. Si les faits saillants, défaillances et exploits caractérisés, n’échappent pas à l’attention des chefs, ils ignorent l’attitude exacte de l’immense majorité des hommes placés sous leurs ordres. Requis par des tâches plus urgentes, ils ne peuvent consacrer que de rares instants à l’observation. La richesse et la diversité des expériences individuelles ne peuvent d’ailleurs en aucun cas suppléer l’expérimentation généralisée et le contrôle méthodique. Il appartient à la psychologie scientifique de mettre ses ressources à la disposition d’un tel bilan préalable. Ses prétentions explicatives, ses propositions d’amélioration seront justifiées et acceptées en raison directe de la gravité des faits qu’elle aura été capable de mettre en relief.
Le constat des faits
Le passage de l’observation fragmentaire à la mesure systématique est-il possible dans le domaine de la combativité ? Peut-on, dans des conditions parfaitement contrôlées, déterminer l’apport offensif de chacun des éléments d’une unité ? Quels sont les écarts (interindividuels) d’efficacité au feu et sur quelle proportion de véritables combattants le commandement peut-il raisonnablement compter ? Questions capitales, auxquelles il est maintenant permis de répondre avec précision dans un cas particulier : celui de l’infanterie. Au cours de la seconde guerre mondiale, un groupe de psychologues militaires américains, sous la conduite du colonel S. L. A. Marshall (1), a en effet inauguré un système d’enquête autorisant la reconstitution et le dénombrement des participations offensives. Les chefs et les hommes de 400 compagnies d’infanterie ont été minutieusement interrogés par ces spécialistes aussitôt après les engagements. Opérant par recoupement et confrontations de témoins, ils ont pu établir dans des conditions saines le décompte des initiatives individuelles. Les mouvements tactiques, les assauts, utilisés au cours de cet inventaire, ont été reconstitués dans toutes leurs phases sur les lieux d’origine, afin de fixer les conditions d’emploi des armes et de faire la part des circonstances particulières. De nombreuses formations ont été suivies, jour après jour, sur plusieurs mois ; certaines depuis les atolls du Pacifique central jusqu’au débarquement de Normandie et aux champs de bataille de Hollande et des Ardennes. De la masse énorme des données recueillies se dégagent quelques conclusions générales qui n’ont pas manqué en leur temps de plonger les commandants d’unité et le Haut État-Major américain dans la plus profonde des stupéfactions. Elles méritent d’être brièvement résumées :
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