Voici un sujet qui abonde en anecdotes mais qui n’avait jamais été systématiquement étudié dans notre pays. Or, Foud Benhalla, directeur général de Radio-France Internationale, vient de publier un ouvrage qui comble cette lacune (La guerre radiophonique, Puf). Fruit de recherches assidues, ce livre fait suite à une thèse de doctorat d’État sur « Le rôle de la radiodiffusion extérieure en tant que moyen d’action et de pression dans les relations internationales ». C’est en tant qu’instrument de guerre que s’est affirmée la vocation mondiale de la radio, explique l’auteur qui estime que dans cette confrontation idéologique, qui ne fera que s’amplifier grâce au perfectionnement des techniques, l’Occident s’est arrogé l’avantage. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il explore ce domaine de l’action radiophonique où la stratégie devient dialectique.
La guerre radiophonique
M. Fouad Benhalla. — À l’origine la radio fut avant tout un instrument de service et elle est en train de le redevenir dans les démocraties libérales. Au début des années 30, la TSF, comme on disait alors, diffusait de la musique mais aussi toutes sortes d’informations utiles : météo, marées, pêche, agriculture, spectacles, etc. De tels renseignements avaient totalement disparu pendant toute une période et ils reviennent maintenant au niveau régional ou national. L’information a donc une fonction dans la société. Dans les pays libéraux on l’appelle le quatrième pouvoir car les médias qui, en principe, expriment l’opinion ont pour objet de la faire connaître au pouvoir dans l’espoir d’en infléchir la politique. Dans le camp « socialiste » l’information est plutôt un instrument des autorités et d’ailleurs on emploie à leur sujet le terme de propagande car il s’agit d’endoctriner les masses, de les encadrer, de les préparer à faire face à la contre-révolution. Une conception assez proche de celle-ci prévaut dans le Tiers Monde dans la mesure où l’information est distribuée du haut vers le bas mais on y a introduit la notion du développement. Il y a, certes, endoctrinement mais pas dans le style des pays à parti unique : il y a une volonté du pouvoir de mobiliser les masses en vue d’une tâche nationale qui est le développement.
Il existe donc trois mondes de l’information de même que les spécialistes distinguent trois catégories de propagande : blanche, grise et noire. On dit souvent : la maladie de l’information, c’est la propagande. En fait le terme de propagande vient de la religion et il est donc au départ un terme plutôt sain et pur mais il devient péjoratif au fur et à mesure qu’il prend un autre sens. En matière radiophonique on perçoit fort bien la propagande blanche : elle est claire, nette, affichée. À l’écoute, par exemple, d’émissions émanant d’un pays totalitaire on sent immédiatement la propagande dans le soin mis à faire l’éloge des pratiques du pays d’origine tout en attaquant plus ou moins vivement ses adversaires. La propagande grise est beaucoup plus subtile. Elle ne cache pas ses origines mais elle utilise des termes plus voilés pour faire passer son message, mettant à contribution bien des sources d’information comme les organisations d’opposition, les services de renseignements, ce qui lui permet parfois de divulguer des révélations qui peuvent créer un choc émotionnel au sein de son auditoire. C’est ainsi que « Free Europe » et « Radio Liberty » avaient diffusé intégralement le rapport Khrouchtchev sur les méfaits de Staline. Il en va de même pour les émissions de Formose à destination de la Chine populaire : elles sont fréquemment les premières à faire état des purges ou des dissensions qui interviennent à Pékin. Quant à la propagande noire, elle est totalement masquée, clandestine, ses origines demeurent secrètes même si on les devine au travers du contenu. La station ne peut pas être identifiée de manière précise. Depuis la Seconde Guerre mondiale cette forme de propagande est particulièrement utilisée dans les régions sensibles du Tiers Monde. De toute manière, qu’elle soit ouverte ou suggestive, la propagande reste, dans les relations internationales, un facteur permanent d’influence et la radiodiffusion, qui se prête à tous les types d’action psychologique, en est l’instrument par excellence.
Mais la propagande a son corollaire, la censure. Elle se pratique de plus en plus à travers le monde, soit qu’il faille épargner à l’opinion publique des indiscrétions malencontreuses, soit que l’État veuille masquer ses points de vulnérabilité. Une organisation internationale a recensé à peine trente-trois pays où n’existe aucune censure. Elle s’exerce de manière évidente dans les pays du Tiers Monde, notamment ceux qui ont adopté le système du parti unique, comme dans les pays de l’Est où chaque information est, en fait, une directive, voire un ordre, les journalistes agissant beaucoup plus comme des fonctionnaires qu’en fonction d’une déontologie à l’occidentale. À partir de là, il n’y a pas seulement l’autocensure qu’on peut pratiquer en période de crise dans certaines démocraties, il y a véritablement censure, c’est-à-dire que chaque information est jaugée par un responsable qui décide si elle est conforme ou non aux objectifs du régime en place.
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