Sous ce titre un peu provocateur, l'auteur étudie les propositions faites par Robert McNamara dans l’hebdomadaire américain Newsweek du 5 décembre 1983. Certaines de ces propositions lui paraissent acceptables, d’autres dangereuses.
Dissuasion par la bombe ou dissuasion de la bombe
Inexorablement, par un processus quasi naturel, se succèdent les « générations » d’armements nucléaires. Les dirigeants politiques les habillent de mots, qui font des stratégies. En Union Soviétique le discours est unique. Sans contradicteur dans l’instant, il peut impunément se contredire demain, au gré de changements tactiques qui soulignent plus qu’ils ne cachent une stratégie monotone. Aux États-Unis d’Amérique c’est à tout moment que la stratégie officielle est mise en question et le discours responsable doublé d’irresponsables cogitations.
La posture géostratégique des États-Unis, partagée entre le sanctuaire national et l’Europe des ancêtres, impose aux gouvernants une dialectique éprouvante. Pour la protection du sanctuaire, une stratégie insulaire prend l’apparence d’un affrontement antiforces, duel transocéanique dont personne ne relève l’invraisemblance. Plus réaliste, une stratégie européenne cherche à lier un enjeu non évidemment vital (l’Europe de l’Ouest) à un autre qui l’est absolument (« l’île » américaine) et claudique comme elle peut sur le fil de la « flexible response », stratégie associante-dissociante suivant l’expression du général Jarry : le général Rogers travaille à distendre le couplage technique, enchaînement de moyens qui relie le fantassin à la fusée intercontinentale, cependant que son président, par le biais des euromissiles, resserre le « linkage » géographique entre les deux rives de l’Atlantique (1). On comprend que ces ambiguïtés incontournables nourrissent les frayeurs de nos contemporains et offrent un champ fertile aux semeurs de stratégies officieuses.
Les 18 propositions de MacNamara
C’est sur ce fond de tableau qu’apparaît le personnage nouveau de MacNamara. Sa parole aujourd’hui libérée des contraintes du pouvoir bénéficie pourtant de l’autorité de ses anciennes fonctions. Secrétaire d’État à la Défense de 1961 à 1968, sous Kennedy et Johnson, il préside à la mise en place difficile de la stratégie actuelle de l’Otan, tout en vitupérant la force nucléaire française. Après une longue éclipse, il fait au printemps 1982 une rentrée fracassante dans le débat stratégique par un article de Foreign affairs, où il prône avec trois complices le renoncement à l’usage en premier de l’arme nucléaire. Dans la même revue, à l’automne 1983, il élargit le débat au rôle « militaire » des armes nucléaires (2). Mais c’est dans le Newsweek du 5 décembre 1983 qu’il précise la nouvelle politique qu’il préconise, en 18 propositions (voir encadré). L’examen de ces 18 articles présente un grand intérêt pédagogique : d’accord - pas d’accord, MacNamara nous interpelle. Répondons à ses provocations.
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