Cet article est le texte d'une conférence prononcée le 7 février 1984 à l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) par l'auteur en tant que président du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas).
L'aéronautique et l'Espace dans le monde d'aujourd'hui
Vous m’avez demandé de traiter devant les auditeurs de l’IHEDN de l’« aéronautique et l’espace dans le monde d’aujourd’hui ».
La première question que l’on pourrait se poser serait de savoir comment un tel sujet s’inscrit dans le cycle d’études de votre session. La réponse est cependant simple et chacun peut concevoir la part prise par les préoccupations aéronautiques et spatiales dans l’analyse des différents aspects de la défense, qu’il s’agisse de la puissance militaire proprement dite ou plus largement des atouts de l’indépendance nationale et de la liberté d’action politique que procurent le développement de la puissance économique, la maîtrise des technologies porteuses d’avenir, l’équilibre des échanges commerciaux et la tenue de la monnaie.
Traiter de l’aéronautique et de l’espace dans le temps d’une brève présentation me contraint à m’en tenir aux données réellement disponibles, c’est-à-dire à passer très vite sur ce qui touche les pays de l’Est et notamment l’URSS dont nous savons pourtant de quelle capacité elle dispose en ce domaine et à m’efforcer de dégager l’essentiel touchant d’abord l’essor des activités aérospatiales et les caractéristiques de l’industrie qui les sous-tend, ensuite les forces et les faiblesses de l’industrie aéronautique et spatiale française, enfin la place tenue par la France dans la compétition mondiale face aux puissances industrielles solidement implantées dans ce secteur et aux aspirations grandissantes des pays en voie d’industrialisation.
Les caractéristiques de l’industrie aérospatiale
La conquête de l’air s’est faite le temps d’une vie d’homme. En 80 ans nous sommes passés des premiers essais malhabiles de Clément Ader et des frères Wright aux systèmes d’armes les plus essentiels aux armées modernes, à la traversée commerciale de l’Atlantique en supersonique et aux transports intercontinentaux de masse.
La conquête de l’espace a été plus rapide encore puisqu’en moins d’un quart de siècle l’homme a marché sur la Lune et qu’il est entré dans l’ère d’utilisation de l’espace à des fins non seulement scientifiques mais économiques, industrielles, civiles et militaires.
Parallèlement au nucléaire, le secteur aérospatial aura été depuis trente-cinq ans un agent essentiel du développement des disciplines scientifiques et des technologies nouvelles qui conditionnent la société de demain ; mais contrairement à ce qui s’est passé et ce à quoi nous assistons aujourd’hui dans de trop nombreuses industries, le secteur aérospatial n’est pas prêt à céder la place aux activités nouvelles dont il a provoqué l’émergence, bien au contraire, il répond à des besoins durables et recèle une potentialité pour un nouveau bond en avant en symbiose avec ces disciplines et ces techniques nouvelles.
Le fait aérospatial est patent, universel et porteur d’avenir. Dans le domaine militaire, les composantes des forces tant nucléaires que conventionnelles sont de plus en plus articulées autour de systèmes qui font appel aux techniques aérospatiales. Qu’ils soient stratégiques ou tactiques, les missiles sont conçus, développés et fabriqués par l’industrie aérospatiale. Toutes les armées, air, terre, marine font de plus en plus appel à ses produits dans la triple recherche des capacités offensives, défensives et mobilité. Dans le domaine civil l’avion a ravi le monopole des relations intercontinentales, c’est le moyen le plus rapide, le plus sûr pour joindre n’importe quel point du globe. La navigation maritime, s’agissant du transport des passagers, a été reléguée aux activités de loisir. Ce monopole s’élargit peu à peu au transport de fret dont le taux de croissance s’établit autour de 10 % en 1983 (en tonnes/kilomètres).
Dans de nombreux pays l’avion prend le pas, pour les communications intérieures, sur les liaisons routières ou ferroviaires en dépit des progrès sensibles observés dans ces domaines lorsque les investissements en infrastructure le permettent. Le phénomène du transport régional est en pleine expansion comme en témoigne la réponse aux besoins du marché donnée par l’industrie à travers les nombreux programmes d’avions de transport dits de 3e niveau.
Enfin le travail aérien, cantonné au début de son existence aux travaux d’épandages agricoles, a connu au cours de la dernière décennie une évolution très rapide dans de nombreux autres domaines et notamment dans celui des activités de service induites par la desserte par hélicoptères des plate-formes pétrolières en mer.
Dans le domaine spatial, la conquête de l’espace a d’abord été marquée par la signification politique de la compétition qui a opposé les États-Unis et l’Union Soviétique et les développements auxquels nous assistons conservent ce caractère premier ; mais elle a pris en outre la dimension d’une grandeur économique par certains des objectifs qu’elle se fixe, par la rationalisation des investissements qui lui sont consacrés et par le volume des activités industrielles qu’elle génère. La maîtrise et la diversification des programmes d’acheminement des charges utiles sur orbite, la véritable révolution introduite dans les télécommunications, transmission de données et d’images, l’observation de la terre et de l’espace, les aides à la navigation, les sondes scientifiques, les laboratoires spatiaux sont autant de réalisations entrées dans la vie courante.
Les perspectives de militarisation de l’espace, déjà largement entrées dans les faits dans tous les domaines que je viens de citer, sont désormais ouvertes sur l’étude et le développement de systèmes d’armes complexes susceptibles d’entraîner peut-être une révision des concepts de dissuasion. Ce n’est sans doute pas pour le court terme mais le débat est déjà ouvert.
L’essor de l’industrie aérospatiale accompagne naturellement la diffusion de ses produits dans tous les pays du monde. Tous sont touchés par le fait aérospatial. Sans doute la production industrielle à grande échelle demeure-t-elle le fait des pays disposant d’une capacité et d’une infrastructure développée d’étude et de recherche ainsi que de moyens industriels très évolués. Pourtant on note dans de nombreuses régions du monde à la fois l’émergence d’une volonté politique et des réalisations concrètes significatives dans des pays déjà très industrialisés mais jusqu’alors peu engagés, Canada, Espagne, Japon, Israël, ou en voie d’industrialisation, Brésil, Inde, Indonésie, Chine. Tous ces pays affichent une volonté affirmée de pénétrer les marchés à l’exportation ; certains ont déjà réussi des percées significatives et font peser une menace non négligeable sur les grands exportateurs, au moins dans le bas de gamme, et ceci d’une double manière : par le contrôle de plus en plus protectionniste de leur marché intérieur et par leur capacité propre (prix et financement) de pénétration extérieure.
Pourtant l’industrie aéronautique et spatiale présente des caractéristiques propres qui devraient en limiter la maîtrise aux seuls pays hautement industrialisés.
1) C’est tout d’abord une industrie de haute technologie, qui fait appel aux disciplines scientifiques les plus nouvelles, aux conceptions sans cesse approfondies d’aérodynamique, thermodynamique, informatique, électronique, matériaux nouveaux et capacité d’appréhender et de maîtriser les systèmes complexes. Les études de recherche et de développement y occupent une place prépondérante qui demande entre autres un effort financier de l’ordre de 20 % du chiffre d’affaires.
2) C’est une industrie qui travaille sur le long terme — il faut plus de 5 ans pour étudier et développer un avion, 8 à 10 ans pour un moteur, 10 à 15 ans pour un système d’armes complexe et le produire en série — compte tenu de ces longs cycles il importe que les choix sur les nouveaux programmes permettent l’enchaînement des efforts d’étude et de fabrication et que les activités de commercialisation des programmes en cours de diffusion concourent à la satisfaction des besoins en financement des travaux qui prépare l’avenir.
3) C’est une industrie à forte valeur ajoutée — peu consommatrice en matières premières et en énergie, elle repose sur la valeur et le travail des hommes dont le coût intervient lourdement dans le prix de revient des produits finis. Les industries aérospatiales des pays industrialisés, hors URSS, comptent de l’ordre de 2 000 000 emplois. C’est donc une industrie en main-d’œuvre hautement qualifiée avec un transfert très rapide des besoins vers les plus hautes qualifications, ce qui constitue un frein au progrès des industries des pays en voie de développement, motive une demande de leur part de plus en plus pressante pour assortir les échanges commerciaux de transfert de connaissance et de formation, et crée un sérieux problème de structure d’effectif dans des pays comme le nôtre.
4) C’est une industrie qui demande des investissements extrêmement lourds. Cette caractéristique n’est pas antinomique de celle d’industrie de main-d’œuvre. L’investissement s’impose dans deux directions. La première est celle de la voie des investissements corporels, ceux qui concernent la mise à niveau de l’outil industriel : infrastructure générale, machines outil, informatisation qui touche toutes les activités de la conception à la fabrication et qui a conduit à une remise en question de tout l’appareil industriel.
La deuxième voie est celle des investissements dits incorporels qui touchent les activités de recherche et de développement des programmes. Le développement d’un avion nouveau de la gamme Airbus par exemple représente un investissement de l’ordre de 1,5 milliard de dollars, bien qu’il s’agisse d’un matériel qui s’intègre dans une conception de famille, un moteur civil de la gamme de 15 tonnes de poussée représente un investissement de 1,2 milliard de dollars, un système d’armes air-sol embarqué peut exiger jusqu’à un milliard de dollars, etc. Les crédits attribués au CNES au titre de l’année 84 pour la recherche et développement s’élèvent à 2,65 milliards de francs.
Que dire des efforts de recherche et développement de la NASA qui atteignent 3 milliards de dollars par an ?
5) Conséquence directe de la lourdeur des investissements, de la longueur des cycles de développements, de la haute qualification de la main-d’œuvre, de la relative brièveté des séries de production, l’industrie aérospatiale propose aux utilisateurs des produits de coût unitaire élevé.
Le prix d’un avion de combat moderne s’établit autour de 15 à 25 millions de dollars, celui d’un avion gros-porteur à moyen rayon d’action autour de 50 millions de dollars, un engin mer-mer de la génération actuelle approche 1 million de dollars.
6) C’est une industrie qui s’adresse au marché mondial. Hormis les États-Unis et l’URSS, aucun pays au monde ne dispose d’un marché intérieur qui lui permette de rentabiliser des activités industrielles au seuil minimal exigé par la satisfaction des besoins prioritaires civils et militaires. En contrepartie, tous les pays, même les moins développés, sont demandeurs dans la généralité des cas de matériels aéronautiques et, pour un nombre grandissant d’entre eux, de matériels spatiaux. L’horizon d’une industrie aérospatiale majeure dépasse donc celui de ses frontières.
7) Enfin c’est une industrie à hauts risques. Je ne reviendrai pas sur le poids des investissements et celui des masses financières en jeu pas plus que sur les paris techniques, mais je voudrais souligner l’énorme difficulté qu’il y a à concilier les contraintes de délais entre le début des études d’un programme et celui de sa rentabilisation prévisionnelle, et la difficulté réelle dans laquelle nous nous trouvons, particulièrement à l’époque actuelle, pour formuler des hypothèses raisonnables sur l’environnement économique estimé dans une perspective à 10 ou 15 ans — l’évolution aléatoire d’un marché en expansion pourtant inéluctable mais trop instable pour obéir à une loi de progression simple, le mouvement comparé des économies des pays producteurs et consommateurs, le désordre monétaire international conduisent à affirmer la dimension des risques.
Et pourtant, il est généralement admis qu’un pays a le rang de son industrie aérospatiale.
Je ne vais pas revenir sur la part qui revient aux armements aérospatiaux dans la défense, non plus que sur la maîtrise des technologies de pointe que procure notre industrie. Je rappellerai son rôle moteur sur les secteurs industriels d’amont, sur l’environnement de la sous-traitance et des façonniers, et sur les activités industrielles ou de service générées chez les utilisateurs par son activité propre. Mais je voudrais surtout souligner le rôle important que jouent les industries aérospatiales dans les grands équilibres économiques et notamment l’apport déterminant de leurs résultats à l’exportation dans la balance des comptes.
Dans chacun des pays intéressés, un courant permanent d’échange a lieu de notre secteur industriel aux autres, sous forme de diffusion de connaissances techniques et de savoir-faire au profit d’autres branches ou de sous-traitance, notamment dans l’ordre des exigences de qualité et de fiabilité.
Cet influx des activités de notre branche sur tout notre environnement, il n’est pas exagéré de dire qu’il pénètre jusqu’au domaine culturel.
Par l’histoire déjà longue mais évolutive que porte en elle cette industrie, il existe en effet une « culture aérospatiale ». Elle est d’ailleurs enseignée dans certaines universités américaines et depuis peu en France à l’université de Montpellier.
Elle dispose de ses musées, notamment aux États-Unis et en France ou la richesse du musée de l’air et de l’espace en fait un site culturel exceptionnel.
Par ses expositions internationales, l’industrie diffuse l’information auprès du grand public — le Bourget, Farnborough, dans une moindre mesure Hanovre, sont les points forts de ces rencontres. On notera d’ailleurs que ce souci de présentation internationale se manifeste dans de nombreux points du globe, notamment en Extrême-Orient (Japon et Singapour) et Amérique du Sud.
Enfin, grâce à la mobilité que procure le transport aérien, à l’essor des télécommunications par satellite, l’aéronautique et son prolongement spatial se posent comme un fantastique moyen de diffusion des idées et de la culture.
L’industrie aérospatiale française
À partir de ces considérations générales, comment apprécier l’état de l’industrie aérospatiale française avec ses forces et ses faiblesses, ses atouts et ses handicaps ?
Forces et atouts
Le premier atout réside à n’en pas douter dans la qualité des hommes. La capacité de nos ingénieurs à innover, l’aptitude des dirigeants (que je ne citerai pas mais dont les noms sont présents à tous les esprits) à orienter et accompagner le mouvement au plan des choix techniques, des adaptations des appareils industriels et de l’esprit d’entreprise, la solidité de la maîtrise et le haut niveau de qualification des personnels d’étude et de fabrication constitue, comme dans tous les secteurs porteurs, la principale ressource de notre industrie.
C’est à cette qualité des hommes, qui accompagne toute l’histoire de notre industrie, qu’elle doit un acquis industriel et technique qui s’est forgé au cours de 80 années d’expérience.
Cette antériorité n’est pas contestée. Dès 1908, les premiers constructeurs créaient une chambre syndicale aéronautique, ancêtre de l’organisme professionnel au nom duquel je vous parle aujourd’hui. En 1909 se tenait au grand palais la première exposition mondiale de la « locomotion aérienne », et lors de la Première Guerre mondiale, notre pays détenait le quasi monopole de la production aéronautique. Durant la seule année 1918, la France avait produit 21 000 avions qui équipaient toutes les armées alliées.
Sans doute la guerre 1939-1945 a-t-elle failli réduire l’acquis à néant, mais une fois de plus il s’est trouvé des hommes, tant du côté des pouvoirs publics que de l’industrie, qui ont su tirer le meilleur des obstacles de la reconstruction.
En s’appuyant sur cet acquis, et en sélectionnant les créneaux à travers d’inévitables tâtonnements, l’industrie a développé et possédé aujourd’hui une maîtrise technologique dynamique au plus haut niveau dans plusieurs secteurs clefs : aérodynamique, conception et fabrication assistées par ordinateur, développements et utilisation des matériaux nouveaux, composites, carbone, bore, systèmes de pilotage, pales et rotor d’hélicoptères, turbines et compresseurs, commandes électriques, digitalisation des ensembles de contrôle d’aéronef, capacité d’appréhender les systèmes complexes, etc.
Toutes ces innovations ont été développées dans le cadre d’une infrastructure industrielle remarquable. La modernisation a représenté de 1979 à 1982 un investissement global pour l’ensemble des entreprises de l’ordre de 2 milliards de francs par an.
Le niveau qualitatif de notre outil industriel est tout à fait comparable à celui de nos grands compétiteurs, notamment américains.
Par les hommes, grâce aux percées technologiques et en mettant en œuvre l’outil industriel de qualité qui est le nôtre nous avons développé un fonds de commerce diversifié qui nous a permis de satisfaire les besoins essentiels de la défense, d’amorcer notre percée internationale dans l’espace, de prendre la 1re place parmi les constructeurs européens et la 2e mondiale hormis l’URSS.
Cette position, nous la devons aux choix faits de créneaux diversifiés dans la gamme des produits réclamés par le marché : famille des avions de combat et d’affaires, Airbus, hélicoptères, moteurs civils (CFM 56), missiles tactiques, équipements embarqués, développement de la famille Ariane à partir de l’acquis obtenu par une politique résolue et suivie en vue de maîtriser les techniques des lanceurs, priorité donnée aux programmes de satellites moyens en harmonie avec notre politique de lanceurs.
Beaucoup de ces programmes parmi les plus importants, ont été développés, et sont fabriqués, et commercialisés en coopération principalement franco-européenne, notamment franco-allemande et donnent à notre industrie une position de fait de chef de file qui en même temps qu’elle consacre la place de notre industrie en Europe nous donne des responsabilités particulières et pose des problèmes de rapports tant avec nos coopérants qu’avec nos compétiteurs.
Ce rôle éminent, sinon prééminent se prolonge dans les instances européennes et notamment au sein de l’Association européenne des constructeurs de matériels aéronautiques (AECMA) dont la France a été il y a plus de trente ans membre fondateur et dont le siège est à Paris.
En terminant ce rapide tour d’horizon de nos points forts, je ne voudrai pas omettre celui que procure notre outil de formation spécialisé même si des réserves sont à faire sur l’adaptation du système national de formation universitaire et professionnelle aux besoins réels de l’industrie.
À côté de l’École supérieure nationale de l’aéronautique et de l’espace (ENSAE) fondée en 1909, on trouve plusieurs établissements à vocation aéronautique spécialisée : ENSICA, ENSMA, ESTA, ENAC, etc.
La profession a toujours porté une attention particulière aux questions de formation. Avec un concours attentif des pouvoirs publics, elle a depuis 1980 fait un pas en avant en créant un organisme spécialisé dans la formation aux méthodes françaises des étudiants, ingénieurs et techniciens étrangers. La Formation internationale aéronautique et spatiale, association à but non lucratif qui regroupe le GIFAS, le CNES, les offices d’exportation et les principaux industriels.
La FIAS exerce son activité dans deux voies : elle propose une structure d’accueil pour stagiaires étrangers dans nos grandes écoles, universités, établissements spécialisés et industrie ; elle élabore dans le cadre des contrats bilatéraux, la mise en place de structures de formation dans les pays avec lesquels il a été possible de passer des accords.
Les handicaps
Pourtant ces atouts ne doivent pas masquer les handicaps dont souffre notre industrie. Le premier, le plus constant, mais aussi l’un des plus sensibles aux variations conjoncturelles tient à la dimension de nos capacités de financement.
Pour les raisons que j’ai développées en première partie, l’industrie aéronautique demande de grandes capacités de financement. Trois voies sont théoriquement ouvertes. La première est constituée par les financements étatiques à travers les dotations budgétaires des ministères compétents, Défense (matériels militaires), Transports (programmes civils), Industrie (programmes spatiaux), PTT (DGT). Ces dotations budgétaires répondent aux trois fonctions de l’État vis-à-vis des entreprises : État client pour les contrats d’achats et de fabrication des matériels dont il prévoit de doter ses utilisateurs, État animateur d’activités industrielles d’intérêt national à travers les mécanismes d’avances remboursables, enfin État actionnaire vis-à-vis des entreprises nationales où dont il a le contrôle majoritaire.
Dans ces deux premières fonctions on ne peut pas dire que l’industrie soit dans une situation plus difficile que celle de ses partenaires européens à capacité budgétaire équivalente. Cependant il est clair que les possibilités de chacun sont directement liées à leur situation économique propre et qu’à cet égard la France se trouve depuis quelques années dans une situation défavorable dont il est malaisé de prévoir le terme.
La troisième fonction étatique essentielle aux fonctionnements des entreprises nationales où dont l’État a pris le contrôle est, dans son ampleur, particulière à la France. Malgré les obligations nouvelles que s’est imposé l’État depuis 1981 la sous-capitalisation des entreprises nationales est un mal chronique qui n’a fait que s’aggraver dangereusement avec la dégradation des trésoreries due au ralentissement des ventes. Le poids grandissant des frais financiers place nos grandes entreprises dans une situation particulièrement défavorable face à nos concurrents américains.
À côté des voies budgétaires, la deuxième possibilité offerte à l’industrie est celle de l’autofinancement. Cette possibilité est évidemment liée à la santé des entreprises et leur faculté de dégager des marges, faculté gravement obérée par l’alourdissement des charges de toutes natures qui est au centre du débat économique et social de l’heure. Il ne faut pas croire pourtant que la part d’autofinancement de nos entreprises est négligeable ; le dégagement de marges brutes d’autofinancement est une préoccupation prioritaire de tous les gestionnaires et la part de financement des études prise par les entreprises dans tous les programmes est très importante, mais, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, aucune d’entre elles n’a les moyens de prendre à sa charge, autrement que sous la forme de participation partielle, le financement d’étude et de développement de programmes majeurs à hauts risques.
Reste la voie des concours bancaires. L’expérience montre que ni le système bancaire français ni les entreprises ne sont disposés à s’engager dans cette voie pour le financement direct de programmes à hauts risques. Les concours bancaires interviennent en fonction des situations de trésorerie pour pallier à haut prix la sous-capitalisation, financer tout ou partie des investissements corporels, participer aux opérations complexes de financement des ventes, tout ceci au prix d’un endettement souvent excessif des entreprises.
Le deuxième handicap est l’étroitesse de notre marché national, qu’il soit civil ou militaire, ce qui est également le cas, quoique à des degrés divers, suivant les types de matériel, chez nos voisins et qui n’est pas compensé par la mise en place dans notre secteur d’activité d’un véritable marché communautaire.
Le seul palliatif à cette situation aura été l’instauration de coopérations bi ou trilatérales avec la RFA et l’Angleterre et dans une moindre mesure avec l’Espagne, l’Italie, voire la Hollande et la Belgique.
Le seul exemple majeur de coopération européenne d’ensemble aura été celui de l’agence spatiale européenne dont les résultats ne sont pas négligeables (cas des programmes scientifiques et du programme Ariane) mais qui n’a cependant pas conduit à une organisation efficace d’un marché domestique dans notre région pas plus qu’à la normalisation des programmes notamment en matière de satellites de télécommunication et de télévision directe.
Cette situation explique le rôle essentiel joué par l’exportation sur les marchés extérieurs, avec le handicap propre à notre industrie de ne pouvoir optimiser l’amortissement des coûts d’études et de développement sur un marché intérieur contrairement à ce qui se passe aux États-Unis.
En 1982, 63 % du chiffre d’affaires de la profession ont été réalisés à l’exportation. Plus de 85 % des hélicoptères, 90 % des avions d’affaires ont été vendus à l’étranger. Dans le cas de l’Airbus, la part exportée atteint 90 %, tandis que pour les avions de combat, missiles tactiques et moteurs elle approche 70 %.
Cette dépendance des marchés extérieurs présente des risques d’autant plus préoccupants dans une conjoncture économique mondiale difficile, que le centre de gravité de nos exportations s’est progressivement déplacé des pays hautement industrialisés vers des régions politiquement et financièrement instables.
Sans doute ce constat doit-il être nuancé. Les perspectives de commercialisation du CFM 56, la décision d’équiper les bases américaines en Allemagne du système sol-air Roland, l’accord franco-allemand sur l’hélicoptère antichars un certain nombre d’importantes négociations en cours permettent d’espérer que cette situation pourra évoluer. J’ajouterai que face à la priorité gouvernementale de redressement de la balance des comptes, les contrats comme celui qui vient d’être conclu en Arabie Saoudite, pour la motorisation des AWACS avec le CMF 56 sont les bienvenus. Il ne s’agit donc pas d’abandonner nos positions sur les marchés des pays pétroliers ou des pays en voie de développement mais d’optimiser notre politique d’exportation par un retour en force notamment en Europe.
Sans revenir sur ce que je viens d’exposer quant aux limites de nos capacités de financement et à l’étroitesse de notre marché intérieur, je signalerai deux conséquences négatives pour notre industrie.
La première est relative à la difficulté que nous rencontrons pour maintenir à un niveau souhaitable l’effort de recherche dont dépend notre avenir et la seconde tient à la brièveté des séries et à l’étalement excessif dans le temps des fabrications pour satisfaire nos besoins propres, ce qui joue dans le sens défavorable sur l’amortissement des frais de développement et d’industrialisation et pèse sur les coûts unitaires des matériels produits.
À côté des handicaps propres à notre industrie, je ne peux pas passer sous silence ceux qui tiennent à notre environnement. J’ai, en début d’exposé, présenté l’industrie aéronautique et spatiale comme un point fort de toute politique d’indépendance nationale. Or notre industrie est étroitement dépendante d’industries d’amont absolument indispensables à nos activités et dont pourtant certaines marquent un retard considérable par rapport aux réalisations étrangères et nous imposent de recourir à l’importation. On se souvient des préoccupations soulevées il y a quelques années par la question de nos approvisionnements en titane.
Aujourd’hui, les principaux problèmes posés aux industries d’amont dont dépend notre industrie intéressent :
— la métallurgie des métaux traditionnels : métallurgie mono-cristalline et métallurgie des poudres,
— les alliages nouveaux comme celui de l’aluminium au lithium,
— les matières premières (fil de carbone) pour les composites,
— les composants de la branche électronique, notamment les circuits intégrés à très grande vitesse et haute densité,
— la machine-outil.
Enfin comment ne pas évoquer les problèmes posés par l’évolution de l’environnement économique et social et par l’impact sur notre industrie des programmes de restructuration des secteurs en difficulté. Je reviendrai sur ce sujet dans ma conclusion mais dès maintenant je dois souligner que notre industrie, engagée massivement dans le jeu de la concurrence internationale, ne peut le faire avec quelques chances de succès que si les contraintes internes auxquelles elle est soumise sont homogènes à celles qui gouvernent les politiques industrielles de nos compétiteurs.
La place de l’industrie aérospatiale française
En abordant la troisième partie de mon exposé, dans laquelle je voudrais situer notre industrie par rapport à celles des principales puissances aérospatiales, je dois revenir même brièvement sur l’URSS et les pays de l’Est. Nul ne peut contester l’énorme potentiel industriel et technique de l’Union Soviétique non plus que la gamme très complète de ses réalisations. Mais comment porter un jugement objectif sur l’état réel de son industrie, sur ses forces et ses faiblesses alors que nous ignorons tout des moyens mis en place (finances, effectifs), du chiffre d’affaires, des divers ratios qui permettent, dans le cadre de nos conceptions économiques, d’apprécier l’efficacité d’un système industriel, et bien entendu de ses principaux programmes de recherche notamment dans l’ordre technologique. C’est probablement dans certains secteurs spécialisés du domaine spatial civil que nous sommes le mieux informés à travers la coopération scientifique développée avec le CNES. Mais cela ne permet pas de porter un jugement global.
Vis-à-vis des pays satellites, la diffusion des produits soviétiques obéit aux décisions de Moscou qui place chacune des industries associées en position de sous-traitance et dépendance technologique absolue, à l’exception de la Roumanie qui a choisi de se tourner partiellement vers la France et la Grande-Bretagne pour ses programmes d’hélicoptères et d’avions civils.
À l’égard des pays tiers, la pénétration aérospatiale soviétique souvent très puissante (Chine, Inde, Syrie, Égypte, Algérie, etc.) est rigoureusement dépendante de l’évolution des relations politiques et les conditions de livraison des matériels sont totalement dissociées des références économiques telles que nous les pratiquons, aussi bien pour les prix que pour les modalités de financement. Ainsi se trouvent-ils que certains marchés très importants dans des pays qui souhaiteraient prendre une certaine distance par rapport aux deux grands, nous nous trouvions face à l’Union Soviétique dans une situation de concurrence difficilement soutenable.
En revanche il apparaît peu vraisemblable que cette pénétration puisse toucher les grands marchés occidentaux, comme cela semble s’amorcer dans le secteur de l’automobile, aussi longtemps que la production soviétique n’aura pas intégré dans ses programmes les exigences très contraignantes de rentabilité économique d’exploitation, les normes de qualité et de fiabilité en vigueur en Occident et qu’elle refusera, ou s’avouera incapable de se plier aux règlements internationaux de certification.
Quant aux échanges, notamment entre la France et l’URSS, hormis les échanges scientifiques sous l’égide du CNES, ils demeurent à un niveau très faibles, en dépit de certaines percées très sectorielles (équipements) et d’une volonté affichée de coopération sur de grands programmes.
Il en va bien sûr tout à fait différemment avec le monde occidental.
À tout seigneur, tout honneur, les États-Unis demeurent dans notre secteur la puissance dominante. Tous les éléments sont réunis pour que cette primauté se maintienne et se développe : énorme effort d’études et recherches soutenues à 75 % par des crédits étatiques (contre 50 % chez nous) à travers la NASA, les contrats de la Défense et un dispositif législatif et fiscal incitatif, un appareil industriel à l’échelle 10 par rapport à la France, comme est le rapport du chiffre d’affaires (74,7 milliards de dollars en 1983 en progression de 3,9 % sur 1982, des effectifs de 1 200 000 en 1983, contre 110 000 en France) ; une tradition de gestion des effectifs extrêmement souple, un marché intérieur tel que le pourcentage export ne dépasse pas 20 % du chiffre d’affaires malgré la position dominante des constructeurs civils qui détiennent encore plus de 80 % du marché mondial hors URSS. Si, de 1980 à 1982, l’industrie américaine a subi une période de récession due à la crise du transport aérien et aux séquelles de la politique Carter en matière de défense et de politique d’exportation, on assiste aujourd’hui à une reprise progressive dans le domaine civil, à une nette progression au plan militaire en même temps qu’à un effort considérable dans les domaines de la recherche et de la modernisation des infrastructures industrielles, une avance considérable dans le domaine spatial qui a permis à son industrie de contrôler la quasi totalité du marché civil des satellites grâce à l’atout que lui procurent les programmes militaires qui portent déjà sur plusieurs centaines de systèmes en exploitation.
À tout cela il convient d’ajouter le retour en force de l’Amérique réaganienne tant auprès des alliés de l’OTAN qu’en Amérique du Sud, dans le Sud-Est asiatique et au Japon.
La seule ombre à ce tableau est la situation du marché des avions d’affaires qui tarde à être touché par la reprise, mais surtout celui des hélicoptères civils en raison de l’évolution défavorable, au moins de ce point de vue, des cours du pétrole et par voie de conséquence du ralentissement très net des investissements de compagnies pétrolières, notamment Off-Shore. Comment réagir devant une telle situation de prépondérance américaine ?
N’oublions pas que si les États-Unis se posent vis-à-vis de nous en redoutables compétiteurs, l’Amérique du Nord présente un champ de coopération exceptionnel et un marché qui n’est pas aussi systématiquement fermé qu’on le dit.
Au plan de la coopération, la palme revient aux motoristes avec le programme GE-SNECMA CFM 56, sans oublier l’importante participation (25 %) du motoriste français aux fabrications de la série CF 6. Mais il ne faut pas négliger les accords Thomson-Hugues, Matra-Harris, Aérospatiale-Ford, les initiatives Turbomeca auprès des motoristes d’outre-Atlantique, les nombreux accords entre équipementiers, les perspectives plus générales ouvertes sur des coopérations entre avionneurs, etc.
Cette politique de coopération peut être une des clefs de pénétration de nos produits sur le marché américain où nous sommes déjà présents : équipements des coast guards avec des avions et hélicoptères français, participation de Messier et d’équipementiers français aux programmes de Boeing, pénétration difficile et encore modeste mais cependant réelle d’Airbus, et d’ATR 42 dans les compagnies aériennes américaines.
Toutes ces activités peuvent donner lieu à d’importants développements à deux conditions :
— une politique dynamique d’investissements en Amérique, investissements commerciaux, voire investissements industriels ; à ce propos je voudrais m’élever contre les campagnes à courtes vues qui prônent le rapatriement des investissements sur l’hexagone, alors que de solides implantations à l’étranger sont un gage essentiel du renforcement de nos capacités industrielles internes ;
— la deuxième concerne la compétitivité ; aujourd’hui compte tenu de notre niveau technologique dans les secteurs où nous sommes très bons, et il y en a, de l’évolution des parités monétaires qui atténue les différentielles d’inflation, où nous sommes encore mauvais, nous n’avons pas de problèmes insurmontables de compétitivité.
La question est de savoir qu’elle est la tendance, arriverons-nous à réduire l’écart d’inflation en même temps que nous assisterions à un repli du dollar ? Pouvons-nous nous maintenir dans la compétition technologique alors que notre industrie traverse une période de stagnation pendant que l’investissement américain s’accroît ? Difficiles réponses sur lesquelles se joue notre avenir.
J’en ai assez dit sur les États-Unis et je voudrais revenir en Europe.
Après les exploits de la RAF et l’effort considérable de l’industrie britannique pendant la guerre de 1939-1945, et alors même qu’elle avait ouvert la voie au monde aéronautique moderne avec le radar, le turboréacteur, le déchiffrement initial des phénomènes liés aux vitesses transsoniques, le premier avion de transport à réaction, l’Angleterre s’est longtemps enlisée dans une suite de programmes sans réels débouchés. La phase de la grande coopération franco-britannique des années 60 aurait pu lui donner une nouvelle chance en dépit de l’échec de la tentative de rapprochement avec Dassault. Pourtant le programme Jaguar, les accords conclus sur les trois programmes d’hélicoptères Gazelle, Puma, Lynx, le développement du programme Concorde, les accords Rolls Turbomeca SNECMA sur Adour et Larzac ont permis à l’industrie britannique de sortir pour un temps de la phase des tâtonnements décevants. Ensuite, les voies divergentes prises par Rolls et SNECMA dans leur stratégie d’alliance, les médiocres résultats du BAC III et du Trident, l’avance prise par la France dans le domaine des engins qui a conduit la Royal Navy à s’équiper d’Exocet, et l’armée de terre à choisir les produits franco-allemands d’Euromissile, le changement d’alliance vers l’Allemagne et l’Italie, dans le cadre de Panavia, la politique de nationalisation, la situation économique générale de l’Angleterre des années 70, ont conduit de nombreux esprits, notamment chez nous, à conclure un peu vite à un déclin irréversible de la puissance aérospatiale britannique. Les dernières années 70 voyaient en effet à côté du retour minoritaire de British Aerospace dans Airbus Industrie, les faillites sauvées de justesse de Rolls, la pénétration française renforcée sur le marché britannique, les chasses gardées du Moyen-Orient investies par les Français et même les Italiens. L’industrie des équipements qui pourtant tenait une solide deuxième place derrière les Américains était vigoureusement combattue par la jeune et dynamique industrie française, au point que sur le programme Airbus A 310, la part équipement britannique n’est que de 11 % alors que les participations statutaires auraient pu lui réserver plus de 20 % des charges industrielles.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Avec ses 200 000 emplois, la concentration de ses moyens industriels d’avionneur, missilier et électronicien au sein d’un puissant ensemble retourné au secteur privé, un chiffre d’affaires de 55 milliards de francs, une agressivité commerciale digne de l’Angleterre victorienne, un retour en force dans les domaines des missiles et de l’électronique, une pratique intelligente des alliances dans le domaine des satellites qui la place désormais au 1er rang européen, un soutien inconditionnel de son gouvernement, un recours très traditionnel à une interprétation libre du « fair play », ont fait qu’aujourd’hui l’industrie aérospatiale britannique est bien, après l’Amérique, notre deuxième concurrent mondial — et que nous la retrouvons en face de nous sur tous les marchés.
Est-ce à dire que nous devons au moins pour un temps faire une croix sur la coopération franco-britannique ? Certainement pas. L’alliance Matra-BA est à la base de la politique des satellites de télécommunication, dérivés de la famille ECS-Télécom 1. La coopération tripartite anglo-germano-française « Euromissile dynamics group » prépare la troisième génération des antichars. Le RTM 322 est développé en commun par Rolls et Turbomeca et pourrait ouvrir la voie à une nouvelle étape de coopération entre Westland et l’Aérospatiale pour le programme de remplacement du Puma de la Défense britannique. Les difficiles tractations sur le lancement de l’A 320 ne sont pas terminées et peut-être sommes-nous à la veille d’une « happy end ».
Enfin il n’est pas fatal que les négociations sur l’avion de combat futur échouent même si nous assistons aux développements parallèles de deux programmes d’avions expérimentaux, l’un chez British Aerospace, l’autre chez Dassault.
Reste l’épineux problème du rapprochement entre Rolls et SNECMA. Les responsables font preuve de part et d’autre de beaucoup d’ouverture. Mais, même si le champ d’un accord ne peut être trouvé il est essentiel de se souvenir que les stratégies des motoristes et des avionneurs ne sauraient être confondues et que les industries aéronautiques majeures ont toujours connu des situations ambiguës où se mêlent rapport de coopération et relations de compétition.
Troisième puissance aérospatiale européenne, avec ses 60 000 emplois, ses 25 milliards de chiffre d’affaires, et pour ne citer que les principaux, ses deux avionneurs, MBB (dont l’Aérospatiale demeure actionnaire à hauteur de 11 %) et Dornier, son motoriste MTU, son industrie d’équipement en développement, son puissant environnement d’industries d’amont et de coopérants, l’Allemagne vient encore assez loin derrière la France et la Grande-Bretagne.
Coupée de ses traditions, repartie de zéro, l’industrie aérospatiale allemande s’est reconstruite par la coopération, principalement avec la France. Les programmes Transall, Alphajet, Symphonie, Airbus, Roland, Hot, Milan ont marqué cette renaissance. La France considère volontiers l’Allemagne comme son partenaire privilégié même si quelques tressaillements font parfois penser que nos partenaires souhaiteraient nuancer la réciproque.
Dans cet esprit la coopération Panavia pour le développement et la fabrication des huit cent exemplaires du programme Tornado a été perçue outre-Rhin comme un pas en avant vers une liberté d’action accrue face à la présence française. Il en a été de même pour le programme Spacelab où les Allemands pouvaient, toutes choses égales d’ailleurs, équilibrer le « leadership » français du programme Ariane.
Quoi qu’il en soit c’est à travers les mécanismes de coopération que l’industrie allemande réalise l’essentiel de son chiffre d’affaires. Ces dernières années celui-ci provenait de l’exploitation de programmes lancés depuis plus de 10 à 15 ans. Le temps était venu de préparer l’avenir par la préparation de générations nouvelles. Pendant les deux dernières années du gouvernement Schmidt, les problèmes de politiques intérieures, le psychodrame entretenu autour du projet de char franco-allemand, ont masqué l’intérêt de nouveaux programmes. Aujourd’hui la situation a évolué, le programme de missile antichar troisième génération se développe dans le cadre EMDG, l’hélicoptère antichar a passé le cap des décisions politiques et est entré dans la phase de définitions des spécifications techniques et financières, l’adhésion allemande au programme A 320 paraît acquise et la coopération sur le satellite de télévision directe se poursuit. Ce n’est que l’essentiel, mais les choses ont enfin bougé.
En matière d’exportation directe de matériel de guerre, la République fédérale s’en est longtemps tenu à une politique de réserve, laissant aux structures organiques de coopération, de droit français, d’assumer la responsabilité des exportations sous le contrôle de notre CIEMG (1). Il semble que cette attitude puisse évoluer comme en témoigne certaines offres faites par les autorités allemandes dans d’autres domaines de production d’armement.
Reste l’attraction constante exercée sur l’Allemagne par les produits et les industries d’outre-Atlantique. Nous connaissons ce risque depuis longtemps. Le rôle de la RFA dans l’OTAN favorise l’établissement de liens permanents. Il dépend de la qualité des rapports franco-allemands et de la nature de nos propositions dans chaque cas que notre position ne soit pas menacée.
Le cas des industries italiennes, espagnoles, suédoises, hollandaises et belges mériterait quelques développements ; il en est de même de l’apparition d’industries nouvelles au Brésil, Inde ou Indonésie.
Je terminerai en évoquant le cas particulier du Japon. Globalement, on peut dire qu’au Japon, les conditions sont réunies pour que, s’il le veut, ce pays accède rapidement au rang de grande puissance aérospatiale : capacité industrielle, compétence technique et capacités technologiques, qualification des hommes, ressources financières.
Aujourd’hui le Japon mène de front une politique de coopération en priorité avec les États-Unis et une politique de développement national pour acquérir la maîtrise de certaines technologies de pointe essentiellement pour la défense. Au titre de la coopération, citons le Boeing 767 à la fabrication duquel le Japon participe à hauteur de 5 %, le projet d’avion de 150 places concurrent de l’A 320, l’hélicoptère BK 117 fabriqué en série à 50/50 avec MBB, le projet de moteur civil concurrent du CFM 56 avec Rolls, P et W, Fiat, MTV.
Dans le domaine spatial, le Japon poursuit une politique intelligente et efficace, à la japonaise, qui couvre par étapes successives la gamme des lanceurs et des satellites. Le dernier lancement entièrement japonais d’un petit satellite de télévision directe de 350 kilos a mis en évidence l’état d’avancement de leur programme spatial. Il semble bien que ce soit dans ce domaine que le Japon apparaîtra d’abord dangereusement sur les marchés mondiaux dès la fin des années 80. Ajoutons, que contrairement à ce qui se passe en Europe et singulièrement en France, le Japon maîtrise parfaitement toutes les industries d’amont dont je vous disais qu’elles nous font défaut. Il est à ce titre notre principal fournisseur.
Notre pénétration au Japon est faible, sinon insignifiante. Quelques Airbus chez TDA, hélicoptères civils. On parle toujours du protectionisme japonais, mais l’obstacle majeur que nous avons à surmonter n’est pas là : il est dans les relations privilégiées entre les industries japonaises et américaines, relations tissées à travers les mécanismes de coopération. Comment vendre des Airbus à la Japan Airlines alors que le Japon fabrique 15 % de l’avion américain concurrent ?
Comment donc coopérer ?
Et d’abord comment établir un dialogue entre une industrie incertaine dans sa stratégie de pénétration et un Japon qui nous connaît trop peu ? Notre industrie est consciente de l’enjeu. Des exemples de réussite nous sont donnés par d’autres branches industrielles, notamment l’industrie pharmaceutique. Il dépend de nous que la situation évolue.
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En conclusion de ce rapide exposé, la question qui se pose est de savoir à quelles conditions l’industrie aéronautique et spatiale française pourra conserver et améliorer la position qu’elle occupe dans le monde. Je crois avoir montré en effet, qu’en dépit d’une pratique déjà éprouvée et d’une progression considérable à tous égards, le domaine aérospatial, contrairement à certains secteurs industriels en déclin, reste promis à la croissance avec celle des autres activités motrices de la civilisation nouvelle, celle de la communication. Bien sûr cette industrie est aussi sensible que d’autres aux variations de l’environnement économique mondial. Les années que nous vivons nous le montrent à l’évidence avec la chute brutale des prises de commandes et de l’activité industrielle, chutes d’autant plus sensibles que les années 1978 à 1981 ont été marquées, pour notre secteur, par une conjonction exceptionnelle de facteurs favorables à la croissance et que les résultats obtenus pendant cette période ont été particulièrement satisfaisants. Mais des signes apparaissent qui rendent plausible une hypothèse raisonnable de reprise. Quand et à quel rythme, il est encore trop tôt pour se prononcer.
Dans cette vision résolument optimiste des choses, quels sont les axes suivant lesquels nous dev