Dans le cadre de ses recherches sur le concept de la Nation armée, l'auteur (1) fait ici l'étude d'un certain nombre de systèmes qui ont été proposés pour remplacer les stratégies officielles de la défense de l'Europe. Le sujet est d'ailleurs très vaste et il a dû se limiter à ceux qui lui ont paru les plus significatifs. Dans un premier article nous donnerons la présentation historique, les divergences sur l'emploi du nucléaire tactique et sur la défense classique. Dans un second, nous présenterons les propositions de défense modulaire, populaire et territoriale, de défense civile non armée, et enfin les prises de position vis-à-vis de l'Alliance atlantique.
Défenses alternatives - (I) Défense classique et nucléaire tactique
Mis à la mode par de jeunes Allemands en mal de contestation, le terme « alternatif » est appliqué depuis quelques années à des stratégies ou à des systèmes de défense originaux, qui bénéficient d’une audience dans certains milieux politiques et intellectuels, et pas seulement en Allemagne fédérale (2). Ces alternatives ont pour caractéristiques communes de reconnaître la nécessité d’une défense, et de proposer des changements par rapport à la doctrine nationale ou alliée. Quels changements ? Leur diversité ne facilite pas l’analyse, car ils concernent aussi bien le concept de la dissuasion et les relations dans l’Alliance, que l’appréciation de la menace, l’emploi ou le non-emploi des armes nucléaires tactiques, l’acceptation où le refus de la bataille classique, la technologie des armements, les procédés tactiques, et l’organisation des forces. L’ampleur du sujet impose, dans le cadre d’un article de revue, de se fixer des limites d’espace et de temps. On se bornera donc, arbitrairement sans doute, aux problèmes de défense de l’Europe, et même de Centre-Europe, et aux ouvrages les plus récents, en supposant connues les doctrines officielles, et en passant rapidement sur les auteurs dont les écrits ont déjà été analysés dans cette revue.
Deux remarques préliminaires s’imposent. La notion de « défense » a été préférée à celle de « stratégie », parce que la théorie de la stratégie de dissuasion, abondamment traitée par ailleurs (3), ne sera évoquée que dans ses aspects tactiques, et que les systèmes de défense étudiés ne s’intègrent pas toujours dans une construction stratégique globale. Il n’empêche que l’analyse exhaustive de toutes les alternatives citées aurait nécessité de longs développements, et une appréciation critique de leurs propositions. Tel n’est pas le but de ce premier article, qui se contente de présenter les grandes lignes des théories les plus originales, de noter leurs points communs et de les différencier, en s’efforçant de ne pas trop les caricaturer. Mais comment les classer ? En fonction de la radicalité de leurs critiques, de leurs options stratégiques ou tactiques, de leurs choix de politique extérieure ? Un retour dans le passé semble nécessaire pour rechercher les critères de différenciation qui les ont déterminées à l’origine.
Les précurseurs de 1960
1957 est une année charnière dans la réflexion sur la défense de l’Europe. C’est en effet l’année où l’on s’aperçoit que l’ambitieux programme de Lisbonne (90 divisions, 9 000 avions) n’est pas réalisable, et où l’OTAN décide, pour compenser la faiblesse de la « défense de l’avant », de répliquer massivement et immédiatement, par arme nucléaire tactique, à une éventuelle attaque soviétique. En même temps, le lancement du Spoutnik détruit le mythe de l’invulnérabilité des États-Unis et ébranle la doctrine des représailles massives de F. Dulles. De cet ensemble de réalités, les experts tirent des conclusions contradictoires. Certains, effrayés par la perspective de la guerre nucléaire, jugent inefficace, dangereux ou simplement immoral, le recours au nucléaire tactique. L’ex-major et député britannique Stephen King Hall, se prononce pour le désarmement nucléaire unilatéral et pour la résistance non violente du peuple, solidaire et discipliné. Georges F. Kennan admet la dissuasion stratégique et propose le retrait des forces étrangères des deux Allemagne : face à une menace plus politique que militaire, il envisage l’engagement de milices territoriales qui défendraient tous les carrefours et joueraient un rôle de contrôle intérieur et de préparation de la résistance. Liddell Hart s’interroge sur « l’alternative militaire : dissuader ou défendre » ; il émet des doutes sur la valeur « défensive » de l’arme nucléaire, qui conduirait à un « suicide réciproque » ; pour contrer des agressions limitées, il préconise de compléter les divisions régulières mobiles par des postes de milice, répartis de l’avant à l’arrière du territoire allemand.
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