Informer le lecteur-électeur
— J’ai beaucoup apprécié l’exposé du général de Peyrelongue sur le SIRPA. Il nous a présenté une magnifique usine, un laboratoire de recherches qui utilise les études et les techniques de pointe. Il fournit aux journalistes et à l’opinion, avec des vitamines, tout ce qu’il leur faut pour être informés. Bien sûr de manière favorable… Le général me répondra certainement qu’il propose au public une information « digestible », qu’il ait envie de recevoir. Et que s’il s’intéresse de très près aux réponses de l’opinion, c’est pour la mieux connaître. Assurément. Mais aussi pour améliorer le dosage de la pâture qu’il lui fournit. L’information est devenue une affaire de spécialistes hautement qualifiés et les règles du jeu ne sont plus tout à fait les mêmes que naguère, je veux dire au temps où j’étais directement impliqué. Il y a cependant des problèmes qui demeurent posés.
Le métier de journaliste est d’informer. Qu’est-ce qu’informer ? C’est, dans un régime démocratique, donner au citoyen les moyens de porter un jugement et de transformer éventuellement ce jugement en vote. Lorsqu’il s’agit de défense, le journaliste se trouve bien embarrassé. D’abord parce que la défense, selon la définition qu’en donne l’ordonnance de 1959, c’est à peu près tout ce qui touche à la vie de la nation, à l’exception peut-être des recettes de cuisine et des présentations de mode. Encore n’est-ce pas sûr ! En pratique, certes, le journaliste spécialisé se limite ou est limité aux questions directement militaires, mais les frontières de la diplomatie, celles de l’industrie ne sont pas loin. D’autres aussi : l’évolution des mœurs, peut, par exemple, influer sur la défense. Et les variations du commerce extérieur sont étroitement liées à celles des ventes d’armes.
En face du journaliste qui est là, je le répète, pour permettre au citoyen de se déterminer, se trouvent des responsables dont la tâche est de ne lui dire que ce qu’il doit savoir. Churchill a dit : « La vérité en temps de guerre est quelque chose de tellement précieux qu’il faut l’entourer d’épaisses murailles de mensonge ». La formule est brutale, elle n’est pas fausse. Même en temps de paix, il est des vérités, rares certainement, qu’il faut protéger. Mais comment les définir avec précision ? Le journaliste a tendance à croire que ce qu’on lui cache, c’est aux Français qu’on le cache. Quels sont ces impératifs de la défense qu’on invoque pour lui cacher ce qu’il veut savoir ? Quelle est la part des intérêts supérieurs de la nation, celle des intérêts du gouvernement, du parti dont se réclame le ministre, ou du ministre lui-même ? En un mot, à partir de quel moment le secret est-il un véritable secret de défense et non pas un moyen de dissimuler aux citoyens ce qu’ils devraient connaître ?
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