Les grands problèmes militaires - La crise de l'infanterie
Les divisions blindées constituent l’épine dorsale de la stratégie terrestre à notre époque. Elles percent le front de l’adversaire et s’enfoncent profondément sur ses arrières. Mais peuvent-elles dominer le champ de bataille pendant longtemps ou seulement d’une manière passagère ? Il faut qu’elles soient rapidement suivies par l’infanterie qui consolide les succès initiaux et défendent les gains réalisés. L’étroite collaboration entre les blindés et l’infanterie constitue donc une des conditions essentielles de la victoire.
Ce fut cette considération qui conduisit les Allemands à constituer, au cours de la dernière guerre, des « armées mécanisées » (Panzerarmee), combinaison de divisions blindées et de divisions d’infanterie portées, qui opérèrent sur les grands axes stratégiques des théâtres d’opérations. Leur rôle était de créer ce que Napoléon appela jadis « l’événement », c’est-à-dire le fait autour duquel se déroule l’ensemble d’une campagne. La masse — les armées d’infanterie normales — ont dû s’adapter aux opérations des armées mécanisées : masse de manœuvre. Comme nous l’avons dit, ce sont ces dernières qui, sur le champ de bataille moderne, tiennent le rôle principal ; cependant, la scène sera vide, l’action sans cohérence, si elles devaient opérer seules. Les armées blindées d’une part, les armées d’infanterie de l’autre sont, les unes et les autres, indispensables à la guerre, et le rôle des secondes est de remplir le temps et l’espace entre les opérations des premières.
La doctrine russe est fondée sur des considérations semblables. Par contre, à l’Ouest, on s’est trop habitué à penser uniquement en termes de mécanisation. On arrive ainsi à la croyance, extrêmement dangereuse, que des petites armées modernisées à l’extrême — appuyées par de puissantes flottes aériennes — sont capables à elles seules, grâce à leur grande mobilité stratégique, de vaincre des forces plus nombreuses mais moins bien équipées. Cette tendance tire peut-être son origine des caractères fondamentaux des deux grandes coalitions qui se trouvent en présence aujourd’hui dans le monde. L’Occident possède des industries puissantes et hautement développées, tandis que ses possibilités en potentiel humain sont relativement étroites. L’Orient, au contraire, jouit d’un excédent d’hommes, mais ses capacités productrices sont relativement réduites. Il n’est pas douteux qu’un conflit entre ces deux blocs n’aboutisse à un long duel entre potentiel humain d’une part et capacité de production de l’autre. Mais dans quelle mesure la supériorité technique peut-elle compenser l’infériorité numérique, ou la supériorité en hommes l’infériorité technique ? Personne ne peut répondre à cette question d’une façon précise. La vérité est que, malgré le développement moderne, les hommes et les machines sont également nécessaires sur les champs de bataille, qu’ils sont complémentaires, et que les hommes ne peuvent être remplacés par des engins que jusqu’à un certain point.
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