À travers les livres - Une évaluation hétérodoxe de la menace militaire soviétique - À propos d'un livre d'Andrew Cockburn
À l’expert, fatigué par le déchiffrement des tableaux abstraits, précis et neutres de la Military Balance 1984/1985, récemment commentée par la revue Défense nationale, au lecteur justement inquiété par la présentation très technique de la « Soviet military power » faite en 1984 par le Pentagone (1), il est conseillé de se plonger dans le livre qu’Andrew Cockburn a consacré à « La menace : la machine de guerre soviétique » (Éditions Plon 1984 pour la traduction française). Il constitue un complément très salubre aux bilans abstraits des spécialistes, rappelant utilement que la menace n’est pas faite uniquement d’ordres de bataille et de quincaillerie, mais que sa valeur réelle tient à des hommes qui sont ou non aptes au combat, à des moteurs qui tournent ou qui tombent en panne, à des projectiles qui atteignent ou ratent leur cible. Les pessimistes trouveront dans ce livre sans nuances une source de réconfort. Mais l’antidote risque d’être dangereux si on ne prend garde aux excès et aux lacunes de la démonstration.
L’analyse, abondamment documentée, des faiblesses que l’auteur a décelées au sein des forces armées soviétiques lui sert en effet à étayer une thèse : « La menace militaire soviétique est surévaluée. L’interprétation erronée de l’équilibre militaire qui est faite par les responsables occidentaux a pour objet de justifier l’effort de défense demandé aux peuples concernés et de satisfaire les appétits du complexe militaro-industriel ». La « réalité » quantitative et qualitative de la menace fait seule l’objet du livre de Cockburn qui ne veut pas discuter des intentions prêtées aux Soviétiques de conquérir le monde. Il se limite à répondre à la question : en ont-ils les capacités ?
Pour asseoir son argumentation, l’auteur a principalement utilisé les témoignages directs des très nombreux juifs émigrés d’Union Soviétique aux États-Unis au cours des années 60, se faisant raconter par eux les menus détails de leur vie quotidienne de militaires appelés sous les drapeaux de l’armée rouge. Ces témoignages très captivants sonnent vrai (2), mais restent fragmentaires. En les complétant plus par des déclarations ou confidences de certains responsables américains ou étrangers que par une recherche documentaire sérieuse, Andrew Cockburn aborde tous les aspects de la machine de guerre soviétique « vue de l’extérieur » : les personnels, de l’homme du rang au maréchal, les matériels des différents types de forces, l’organisation et la valeur opérationnelle. Et pour chacun de ces sujets, il fait litière des idées reçues, il dresse un bilan impitoyable des faiblesses « réelles » détectées. Il ne peut être question en quelques lignes de dresser l’inventaire de ce qui apparaît très vraisemblable, ou douteux, ou probablement faux, dans ce livre qui fourmille de détails et de chiffres. Il y aurait là matière à un long travail d’expertise dont on peut, sans risque, donner d’emblée la conclusion : la plus grande partie des faiblesses signalées sont vraies ou vraisemblables malgré leur présentation souvent tendancieuse, mais la quasi-totalité des facteurs de force est passée sous silence et le bilan global du tableau ainsi présenté ne peut être qu’erroné.
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