Le changement dans la troisième dimension
Le salon du Bourget. Une occasion de parler technique, performances, et de mesurer sans doute aussi la vigueur de notre industrie aéronautique, importante pour notre économie, importante pour notre défense ; car il y a couplage étroit entre cette industrie et notre propre aviation militaire. Mais par-delà la seule technique et les seules performances, c’est le moment d’évoquer aussi la situation de nos forces aériennes face aux contraintes de leur éventuel engagement. Il faut alors parler de qualité des matériels certes, mais également de nombre et de tactique.
Or, dans ces domaines, bien des choses ont changé depuis ces quinze dernières années. Les leçons tirées des conflits récents, notre propre expérience outre-mer, ainsi que certaines inflexions de notre stratégie ont eu leur influence sur nos forces aériennes, sur la nature de leurs équipements et de leurs armements, sur leurs missions et leurs conditions d’emploi. Une occasion pour nous de présenter quelques éléments de réflexion sur les conséquences d’un tel changement.
Guerre des Six Jours et Vietnam. Les conséquences
Guerre des Six Jours, conflit indo-pakistanais, Viet-Nam, Kippour, Falklands, crise israélo-syrienne, Irak-Iran, la liste est longue des conflits où des forces aériennes modernes s’affrontent ou se sont affrontées, et ceci pour la seule période couvrant approximativement les quinze dernières années. De tous ces conflits, deux émergent nettement au-dessus de tous les autres, par l’importance des enseignements que nous en avons tirés : la guerre des Six Jours, par le rappel brutal des réalités opérationnelles qu’elle a été pour tous, et le Viet-Nam, par les bouleversements que ce conflit a apportés dans les domaines des équipements, des armements et des tactiques.
La guerre des Six Jours (5 au 10 juin 1967) éclata comme un coup de tonnerre dans un ciel qui, à cette époque déjà, n’était certes pas serein, mais dont l’apparence permettait d’entretenir encore bien des illusions. Le changement fut marqué ici par un réveil brutal face aux réalités opérationnelles, notamment pour ceux qui pouvaient alors croire que la dissuasion nous dispensait de savoir faire la guerre. Au plan aérien, la leçon fut éclatante à un double point de vue.
La façon dont l’aviation égyptienne fut surprise et neutralisée d’un coup, dans la matinée du 5 juin, par les appareils israéliens, frappa les esprits. C’était, pour cette aviation, la dure sanction de ses insuffisances dans la protection au sol de ses forces. Sévère rappel à l’ordre, et ceci pour tous. Alors, à partir de cet événement, au Moyen-Orient comme en Europe, partout le problème de la sûreté au sol des forces aériennes revint à l’ordre du jour. Et l’on se remit à penser sérieusement dispersion, défense antiaérienne, camouflage, durcissement des installations. Et les abris avions de sortir de terre, ou d’être creusés, plus nombreux, dans le roc ou… dans le sable. Il était temps. Mais la grande leçon fut la façon dont l’aviation israélienne imposa sa loi dans les airs et au sol, en appliquant avec rigueur le principe de la concentration et de la sélectivité des efforts, jouant aussi sur la rapidité de la manœuvre et la souplesse d’emploi de l’arme. En un mot, une série de « coups de poing » bien ajustés qui, couplés avec des actions terrestres du même style, devaient mettre « KO » l’adversaire malgré un rapport initial des forces très défavorable — un contre deux ! —. La leçon ne devait pas être perdue.
Cette même leçon s’est d’ailleurs retrouvée dans un autre conflit, où la démonstration a été faite, disons « a contrario ». Pendant le conflit indo-pakistanais (1971), l’aviation pakistanaise essaya bien, elle aussi, de compenser un rapport initial des forces qui lui était défavorable, en prenant d’emblée l’offensive contre l’infrastructure aérienne adverse. Mais les attaques furent conduites sans efforts suffisants de concentration, face à un adversaire dont les moyens avaient été correctement dispersés et protégés. Les résultats furent décevants. S’agissant enfin du conflit Irak-Iran, il est difficile de porter un jugement sur cette guerre en cours. Mais elle tend à confirmer en tout cas que l’emploi « au compte-gouttes » des forces aériennes — sauf exception récente côté irakien — ne permet pas à ces forces de jouer le rôle décisif qui pourrait être le leur.
La guerre aérienne conduite par l’armée de l’air américaine au Viet-Nam a eu une tout autre dimension, par la qualité, la diversité et la quantité des moyens engagés. Nous n’en retiendrons qu’un seul aspect, mais un aspect majeur, c’est la façon dont cette guerre a mis en évidence le redoutable problème de la « pénétration » d’avions d’attaque à hautes performances au-dessus de territoires fortement défendus par des systèmes d’armes modernes. C’est là la grande leçon de l’offensive conduite par les Américains au-dessus du Nord Viet-Nam, pendant les années 1966, 1967 et 1968 et surtout pendant l’année 1972, où furent attaqués les objectifs les plus défendus au cœur même du Delta. L’aviation américaine se heurta en effet à une artillerie antiaérienne d’une densité et d’une qualité exceptionnelles — de l’ordre de 4 000 armes automatiques couvrant une large gamme de calibres et dotées pour la plupart de radars de conduite de tir —. Elle eut à se mesurer aussi pour la première fois aux barrages des missiles sol-air SA2, de fabrication soviétique, utilisés en masse, à moyenne et à haute altitude.
Jusqu’ici, pour les missions offensives, le seul « couplage très grande vitesse-très basse altitude » était le plus souvent considéré comme suffisant pour garantir aux chasseurs-bombardiers modernes leur sécurité face aux défenses adverses. Appliquées au Nord Viet-Nam, ces tactiques eurent pour conséquence des pertes rapidement insupportables — plus de 300 avions abattus pour la seule année 1967 —. Alors, les anciens concepts furent balayés. Et ce fut le grand changement, celui qui nous concerne directement aujourd’hui encore : relance vigoureuse de la « guerre électronique » et évolution profonde des armements. La guerre électronique n’était certes pas une nouveauté. Mais au Viet-Nam, elle allait prendre un essor décisif, avec son cortège de bouleversements dans les équipements, les moyens mis en œuvre et les tactiques. Équipements nouveaux et sophistiqués — détecteurs, décepteurs, brouilleurs de toute nature — pour l’autodéfense des avions de combat ; appareils spécifiquement conçus, ou spécialisés, pour surveiller les dispositifs radar liés aux défenses adverses, pour en définir les contours, pour en perturber le fonctionnement et pour les attaquer ; tactiques nouvelles enfin, car la mise en œuvre et la coordination de tous ces moyens conduisaient à alourdir les dispositifs aériens et à compliquer les manœuvres offensives.
Pour les armements, la prise en compte de la menace des défenses antiaériennes précipita une évolution qui est aujourd’hui au premier plan des préoccupations. Plus que jamais, il s’agissait — et il s’agit encore — d’assurer du premier coup le succès des missions, et ceci au moindre risque. D’où l’effort pour diversifier les armements, afin de les adapter de façon de plus en plus étroite à la nature de leurs objectifs. D’où aussi l’allongement des portées des armes et, dans le domaine offensif, le développement des techniques de tir en « stand-off », capables de faire éviter aux appareils le survol des cibles, voire même de leurs approches. C’est au Viet-Nam en tout cas qu’a commencé la course aux armes dites « intelligentes », ces armes dont on parle beaucoup actuellement et dont les premières — les bombes à guidage laser — ont été utilisées pour la première fois contre des objectifs du Delta.
D’autres conflits, après le Viet-Nam, sont venus élargir l’expérience et compléter ces leçons. Dès octobre 1973, le « Kippour » révélait l’importance du « renseignement électronique ». Il montrait les conséquences dramatiques pour les forces aériennes de toute défaillance technique ou tactique dans cette forme de lutte permanente entre l’épée et la cuirasse. Pour s’être laissés surprendre par l’apparition des missiles sol-air SA6, dont ils connaissaient mal les caractéristiques, missiles couplés aux redoutables quadritubes de 23 millimètres, les Israéliens perdirent près de cent avions dans les premières quarante-huit heures de cette guerre. Ils réussirent à reprendre leur souffle, le temps d’analyser la nouvelle menace, de recevoir des États-Unis les « contre-mesures » adaptées et de définir les meilleures tactiques pour l’attaque des sites.
La leçon fut chère, mais bien comprise. Car en juin 1982, au moment de l’opération « Paix en Galilée », l’offensive aérienne d’Israël au-dessus de la Bekaa montra ce qu’une parfaite maîtrise du problème, avec des moyens rigoureusement adaptés, permettait d’obtenir. En une journée, les sites de SA6 furent balayés de la Bekaa, puis en trois jours, ce fut le tour de l’aviation syrienne qui perdit dans l’affaire près de quatre-vingt-dix appareils pour aucune perte en face.
Le changement ainsi apporté dans la conduite des opérations aériennes, offensives et défensives, a imprimé sa marque à l’ensemble de nos forces, au lendemain même de la guerre du Viet-Nam. Certes le problème de la guerre électronique avait été relancé dès les années 60, avec la mise en œuvre des forces aériennes stratégiques, mais à partir du Viet-Nam, ce fut peu à peu l’ensemble des forces aériennes de combat, tactiques notamment, qui évoluèrent en fonction de l’expérience de l’armée de l’air américaine. Car en Europe, ces forces, comme celles de nos Alliés, avaient en face d’elles un corps de bataille déjà puissamment défendu, dont les moyens sol-air n’ont cessé depuis d’être renforcés au rythme frénétique de deux nouveaux systèmes d’armes tous les cinq ans ! Redoutable constat justifiant des efforts permanents pour des techniques et des tactiques en constante évolution.
Du Viet-Nam à l’Europe, en passant par le Kippour et la Bekaa, l’expérience nous montrait ainsi l’ampleur d’un changement qui, amorcé il y a une quinzaine d’années, conduit les forces aériennes à une double évolution. Evolution d’abord vers les hauts de gamme de la technologie pour les appareils eux-mêmes, pour de simples raisons de cohérence technique avec les performances des équipements nouveaux, des armements ou des capteurs qu’ils emportent. Évolution aussi vers des tactiques plus complexes imposant la mise en œuvre de moyens plus nombreux.
L’expérience de nos propres interventions outre-mer
À l’expérience des autres s’ajoute aussi la nôtre, celle, très dense, de ces dernières années : Mauritanie (1977-1978), Tchad (1978 et 1983), Kolweizi (1978) et Liban (1978 et 1982-1984). Intervention du transport aérien militaire, certes, toujours et partout le premier sollicité. Mais intervention aussi — sauf à Kolweizi — de l’aviation de combat à haute performance : là est le fait nouveau. Une telle intervention n’était pas évidente pour tous au départ.
Notre concept d’action extérieure remonte aux années 60. Il fut défini dans le contexte nouveau de la décolonisation. Si nos forces devaient agir, ce serait davantage pour prévenir que guérir, en bloquant par exemple tel processus de déstabilisation ou en intervenant à temps pour rétablir un équilibre dangereusement compromis. La rapidité de l’intervention devait s’allier à une capacité de frappe initiale vigoureuse, si nécessaire. Le style des actions envisagées au plan interarmées s’apparentait donc à celui du « coup de poing », mais d’un coup de poing avec des forces dont l’essentiel serait stationné désormais en métropole. Ce concept n’a guère été modifié depuis. Vitesse et capacité de frappe immédiate répondaient déjà aux caractéristiques de l’aviation de combat dont l’emploi aurait dû s’imposer d’emblée. Pourtant, l’aptitude réelle de tels moyens à intervenir loin des bases de la métropole fut pendant quelque temps mise en doute. La menace des années 60 ne semblait pas justifier a priori l’engagement d’appareils à hautes performances dont on évoquait en outre les délais nécessaires à leur déploiement et les difficultés techniques et logistiques de leur mise en œuvre.
La réalité et l’expérience ont balayé ces arguments. Le missile SA7 a désormais remplacé le fusil-mitrailleur du rebelle, même dans les savanes les plus éloignées. La pratique du ravitaillement en vol a révélé les nouvelles capacités d’intervention des avions de combat, mettant l’Afrique à quelques heures de vol de la métropole et les antipodes à quelques jours, lesquels se comptent sur les doigts d’une main. Enfin, la fiabilité des appareils a montré qu’il était possible d’entretenir sans problème majeur des détachements d’avions d’arme à plusieurs milliers de kilomètres de leur base de rattachement : huit années d’expérience quasi ininterrompue le prouvent.
Et ce fut la participation que l’on sait aux opérations de Mauritanie, du Tchad et, un moment, du Liban. Tout cela ouvre évidemment des perspectives nouvelles pour la défense de nos intérêts extérieurs. Les bases de Pointe-à-Pitre, de Fort-de-France, de Saint-Denis, de Papeete et de Nouméa, pour ne citer que les principales, celles dont l’usage nous est autorisé actuellement, à Dakar, Bangui, Libreville et Djibouti par exemple, constituent en effet, désormais, autant de véritables porte-avions accessibles, la plupart en quelques heures, à l’aviation de combat. C’est important pour la conduite de notre stratégie d’action extérieure, c’est important aussi pour notre stratégie des moyens. La leçon des Falklands (avril-juin 1982) rejoint d’ailleurs sur ce point nos conclusions. Reconnaissons en effet que si les Britanniques avaient pu, su ou voulu déployer quelques F4 Fantom à Port-Stanley dès lors que se levait un vent d’ouest sur les îles, jamais les Argentins n’auraient pu débarquer. Reconnaissons également que si les Argentins avaient pu, su ou voulu déployer à Port-Stanley un groupe de Mirage, jamais les Britanniques n’auraient pu reprendre pied aux Falklands…
D’une façon générale, les forces aériennes — qu’il s’agisse d’attaque, de reconnaissance, de défense ou de transport — ont fait la preuve qu’elles avaient désormais cette qualité, importante pour l’action extérieure, à savoir la mobilité stratégique. Mais pour que cette mobilité constitue un véritable atout, encore faut-il veiller à ce que les capacités réelles de ces forces soient cohérentes avec les ambitions mêmes de notre stratégie. C’est une question de performances, comme c’est le cas par exemple pour le transport aérien militaire, dont les limites actuelles, pour les actions à très longue distance, sont connues et reconnues. Ce pourrait être également une question de volume de moyens pour l’aviation de combat, si les missions outre-mer venaient à dépasser une certaine ampleur, car ces missions s’ajoutent aux autres. En toute hypothèse, c’est une question d’adaptation des missions aux moyens… ou des moyens aux missions, donc de choix politique et stratégique.
Notre stratégie en Europe. inflexions et conséquences
En survolant encore d’un peu plus haut l’ensemble de ces conflits, et en remontant même plus loin dans le passé, deux constats s’imposent.
Le premier est que, dans la quasi-totalité des cas, ce sont les forces aériennes qui interviennent les premières et que leur engagement initial est le plus souvent décisif. C’est bien ce qui s’est passé au début en Corée, où le drame fut évité dans la poche de Pusan, en août 1950, grâce notamment à l’engagement massif des forces aériennes américaines. Ce fut le cas pour Suez en 1956, pour la guerre des Six Jours en 1967 ; ce fut encore plus le cas pendant les premières quarante-huit heures de la guerre du Kippour, où les Israéliens évitèrent de justesse l’effondrement en faisant appel à toutes leurs forces aériennes, seules immédiatement disponibles en masse. Ce fut le cas de nos engagements outre-mer, en Mauritanie et en 1978 au Tchad.
Le deuxième constat est plus amer. Il est que les guerres modernes consomment le matériel de façon effroyable, car la défaillance technique et tactique pardonne moins que jamais. C’est vrai pour les chars (Kippour) ; ça l’est pour les navires (Falklands) et ça l’est tout particulièrement pour les forces aériennes. Cinq cents avions détruits au total pendant la guerre des Six Jours ; autant en 1973 sur le même théâtre, mais en deux semaines… Près de quatre-vingt-dix avions syriens abattus en juin 1982, en trois jours. Aux Falklands, les Argentins ont vu disparaître près de la moitié de leur aviation d’attaque, engagée il est vrai dans des conditions redoutables, tandis que les Britanniques ont dû perdre le quart environ de leurs Harrier mis en œuvre dans cette affaire, alors qu’ils disposaient d’une supériorité aérienne acceptable.
Le rapprochement de ces deux constats est important dès lors que l’on évoque l’évolution de notre stratégie en Europe. Le fait que les forces aériennes risquent d’être engagées les premières signifie qu’elles seront aussi les premières à subir des pertes — et des pertes qui pourraient être lourdes —. Ces forces auront même toutes les « chances » d’être engagées à l’instant même de la décision de notre intervention militaire. C’est d’abord notre intérêt, car une stratégie de dissuasion exige vigueur et instantanéité des réactions. Et même si nous ne voulions pas nous engager dans ces conditions, l’adversaire, lui, pourrait fort bien nous y contraindre. Tout cela prouve qu’il faut avoir les « reins solides » dans la troisième dimension, face à la durée et à l’intensité envisagées des engagements. Or, sur ces deux derniers points, les choses ont changé au cours de ces dernières années, dans un sens qui aggrave nos premières conclusions.
La durée d’abord. Notre politique de défense est certes remarquable par sa continuité. Il n’empêche que depuis une quinzaine d’années, notre stratégie marque une inflexion qui tend à l’éloigner du « tout ou rien » dont elle était proche au début, non par intention mais par nécessité. L’augmentation de la puissance de notre force nucléaire stratégique, la mise en œuvre de l’arme nucléaire tactique, l’évolution du corps de bataille terrestre, la mise au point progressive des accords avec les Alliés sont les causes d’une telle inflexion. Le pouvoir politique s’efforce de disposer, en toute logique, d’une plus grande marge pour conduire sa manœuvre dissuasive. Pour les forces aériennes, offensives et défensives, cela va dans le sens d’un élargissement de leur capacité, l’espace-temps entre la décision de notre intervention et l’éventuel recours à l’ultima ratio nucléaire — au moins préstratégique — ayant tendance à s’élargir lui-même… sans pour autant qu’il soit question d’un retour à une stratégie de guerre « classique ».
L’intensité ensuite. Dans la logique de l’évolution de notre stratégie, la structure des forces terrestres a été plusieurs fois modifiée depuis les années 70 et les hypothèses de leur engagement sont devenues plus complexes. Un troisième corps d’armée a été créé. La force d’action rapide vient de l’être. Les besoins en couverture aérienne et en appui s’en trouvent accrus, surtout dans l’hypothèse, aujourd’hui non exclue, d’un engagement de nos forces terrestres sur plusieurs directions.
Ainsi, durée et intensité nouvelles des opérations se conjuguent-elles aussi, au moins dans certaines hypothèses, pour exiger des forces aériennes des capacités plus larges, au risque, sinon, de voir la manœuvre d’ensemble du corps de bataille perdre de sa cohérence, et donc de son efficacité.
Conclusion
Ce tour d’horizon est très incomplet, mais il l’est en toute connaissance de cause. Sans doute aurait-il fallu évoquer des innovations techniques aussi fondamentales que celles des radars aéroportés, capables de voir du « haut » vers le « bas » et de résoudre ainsi, entre autres, le lancinant problème de la détection à basse altitude ; technique maîtrisée par les uns depuis longtemps, en voie de l’être pour d’autres, mais technique dont on parle beaucoup et dont les applications sont au moins à l’ordre du jour. Sans doute aurait-il fallu évoquer également l’espace, mais l’espace ne relève-t-il pas, de fait, d’une véritable quatrième dimension ?
Par-delà la seule technique, il nous est apparu plus important de mettre en évidence des problèmes et des réalités qui ne sont peut-être pas toujours bien perçus en dehors des cercles des spécialistes. Venant après le bouleversement que l’atome a entraîné pour l’ensemble de nos forces il y a déjà un quart de siècle, le changement aujourd’hui constaté dans la troisième dimension a conduit finalement, à chaque étape de nos conclusions, à évoquer le problème de la qualité et du volume de nos forces aériennes, deux éléments que les impératifs stratégiques, tactiques et techniques tendent à amplifier simultanément. Certes, l’amélioration des performances des appareils eux-mêmes, de leurs équipements et de leur armement, limite fort heureusement l’inflation du besoin quantitatif, mais elle ne la supprime pas… ou alors, il faut admettre une diminution des capacités opérationnelles de l’ensemble. Tout est une question de choix. Et le choix est ici d’autant plus contraignant que, sur les éléments du problème, l’un — la qualité — évolue dans le sens d’une croissance constante, l’aéronautique imposant dans sa marche en avant inexorable, techniques et technologies de pointe.
Telles sont les réalités de l’évolution des forces aériennes, de leurs caractéristiques, de leurs capacités et de leurs conditions d’emploi. Il s’agit de réalités qu’il n’était pas inutile de rappeler, au moment où les fastes des étalages des matériels, des équipements et des armements les plus modernes pourraient masquer la véritable dimension des problèmes de l’aviation militaire, des choix qu’ils imposent, avec leurs conséquences stratégiques et tactiques.