À partir des ouvrages d'Yves Boyer, « Les forces classiques américaines » in Cahier n° 34 de la Fondation pour les études de défense nationale (FEDN) et de François de Rose, Comité ESECS et Yves Boyer : Nouvelles technologies et défense de l’Europe (Institut français des relations internationales, Ifri), tous deux publiés aux éditions Économica. Le titre de cette chronique renvoie au livre de Raymond Aron, Le grand débat (Calmann-Lévy, 1963).
À travers les livres - Le nouveau « grand débat »
Deux petits livres pour un grand débat : c’est une bonne raison de les recommander aux lecteurs (1). L’un et l’autre parlent de stratégie classique, stratégie dont le renouveau paraît satisfaire le plus grand nombre mais inquiète une minorité. Les deux livres se complètent parfaitement, le premier présentant les évolutions de la stratégie américaine, le second celles de la défense de l’Europe. Il n’y a pas, entre les deux évolutions, exacte coïncidence.
1. Yves Boyer est, à notre connaissance, le meilleur spécialiste des forces classiques américaines. Il suit avec une grande attention l’avancée des nouvelles technologies applicables aux armements. Son érudition va de paire avec la hauteur de vue. Son ouvrage est d’abord un panorama précis des armées des États-Unis. On y relèvera un effort d’objectivité méritoire sur le sujet irritant de la balance des forces classiques et une franchise décapante sur les faiblesses de l’organisation du commandement américain. Le comité des chefs d’état-major n’a point de pouvoir sur les trois armées, dont la rivalité n’est tempérée que par le PPBS (Planning, Programming, Budgeting System), structure de prévision que l’on doit à McNamara. L’auteur suggère froidement que les États-Unis n’ont ni politique militaire, ni stratégie ; la sacro-sainte programmation tient lieu de l’une et de l’autre.
Au-delà des indispensables précisions qu’il contient, le livre pose deux problèmes stratégiques tout à fait essentiels, sur lesquels on n’espère pas faire toute la lumière : les vrais problèmes sont sans solution et le mérite du livre est d’énoncer ceux-ci. Le premier concerne le balancement de la stratégie mondiale des États-Unis entre l’Europe… et le reste. Il nourrit les querelles entre atlantistes et mondialistes. L’attention portée au théâtre européen est jugée trop exclusive par certains, partisans d’une stratégie maritime plus active et de l’escalade horizontale. En tout temps, il faut faire face à l’Union soviétique, puissance continentale eurasiatique, sur l’ensemble du Rimland, périphérie vulnérable. En cas d’agression en Europe, il importe d’être prêt à riposter « ailleurs ». M. Weinberger, secrétaire d’État à la défense, est sensible aux arguments de ces horizontalistes et la nouvelle administration poursuit des réalisations concrètes dans cette voie plan naval, transports aériens et amphibies, création de nouvelles divisions d’infanterie légère, développement, surtout, de la force de déploiement rapide (Rapid Deployment Joint Task Force). Gérée et entraînée sous la responsabilité du Readiness Command, cette force a une zone d’application privilégiée, l’Asie du Sud-Ouest, pour laquelle existe un commandement spécifique (CENTCOM) et quelques accords locaux, dont la précarité est compensée par l’aménagement de la base de Diego-Garcia et le prépositionnement sur navires de matériels et d’approvisionnements.
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