L'implantation soviétique au Vietnam et la croissance de sa Flotte du Pacifique, le réarmement du Japon et sa coopération militaire avec la Corée du Sud, les victoires vietnamiennes au Cambodge et la nouvelle politique de la Chine dans cette région du monde font que les notions géographiques d'Asie du Sud-Est, d'Asie du Nord-Est et d'océan Pacifique sont aujourd'hui considérées comme dépassées par les stratèges de Moscou aussi bien que de Washington, qui lui ont substitué le concept d'Asie-Pacifique. Dans cette très vaste région se déroule une nouvelle guerre froide, feutrée, à l'asiatique, mais très réelle, entre les blocs soviétique et américain, la Chine oscillant entre les deux. L'auteur nous fait part de ses inquiétudes, estimant que l'Occident n'a pas toujours une vue réaliste des événements qui se déroulent dans cette région. D'ailleurs, les lecteurs pourront constater que, d'un article à l'autre sur ce sujet, les opinions varient parfois quelque peu. La longueur de cet article nous a conduits à le publier en deux parties.
Asie-Pacifique : la nouvelle bataille - (I) L'Asie du Sud-Est déstabilisée
L’ANSEA (1) a été bouleversée — le mot n’est pas trop fort — par l’offensive du Vietnam contre les bases des résistances khmères le long de la frontière thaïlandaise durant l’hiver 1984-1985. La croyance que les soldats de Hanoi pourraient être bloqués par les maquisards nationalistes et les Khmers rouges s’est effondrée, provoquant en même temps des lézardes au sein de l’Association. Des estimations et mythes en sont responsables et les craintes nées depuis sont aussi liées au fait qu’aucun pays de l’ANSEA ne dispose vraiment de forces armées solides, car les États-Unis, premier partenaire de cette zone, avaient toujours préconisé que le meilleur moyen de résister au communisme passait par le développement de la démocratie et de l’économie. Or, justement, l’économie de cette région traverse une crise, ce qui augmente encore le désarroi.
Mythes anciens et modernes
La vie politique de l’Asie du Sud-Est est en grande partie dominée par des mythes, ignorés ou dont on méconnaît l’importance. La France est d’ailleurs la première victime de ces croyances car elle est regardée comme un pays faible, peu développé industriellement par rapport à l’Allemagne et très en retard sur les États-Unis, et surtout comme un pays perdant et de défaites : l’image de la France est avant tout associée à la Deuxième Guerre mondiale et à Dien Bien Phu. En conséquence, le Vietnam a toujours été sous-estimé car les pays du Sud-Est asiatique, et plus particulièrement la Thaïlande, pensaient donc qu’il allait de soi que Hanoi devait battre les Français. En quelque sorte, à vaincre sans péril, les Vietnamiens triomphaient sans gloire. La cuisante et bien plus réelle défaite américaine fut par contre excusée comme celle de soldats d’un pays trop riche et ne pouvant s’adapter à des conditions climatiques difficiles. Les peuples du Sud-Est asiatique en tirèrent cependant une certaine et secrète fierté — victoire de l’Asie pauvre contre l’Occident riche — et éprouvèrent même de la sympathie pour les Vietnamiens. En même temps, se considérant asiatiques comme eux, ils n’imaginèrent nullement que ceux-ci pouvaient représenter un danger et, raisonnant à l’envers, acquirent presque, en s’assimilant à eux, un sentiment de supériorité envers l’Occident.
Cette croyance fut largement répercutée et amplifiée par les intellectuels libéraux ayant étudié aux États-Unis, qui mirent en marche un processus de rejet des Occidentaux et préconisèrent une imitation et même un dépassement du Japon, autre sujet d’orgueil pour eux. Les militaires et hommes politiques, plus prudents, mais le plus souvent ne parlant pas ou mal des langues étrangères et donc au contact difficile, suivirent, naïvement, ce mouvement. L’offensive totalement victorieuse contre les résistances khmères en 1984-1985, le courage et la discipline des soldats vietnamiens face à la débâcle des nationalistes et les échecs des Khmers rouges, firent s’écrouler le mythe du Vietnam pays asiatique comme les autres, et l’ANSEA prit peur. Un autre mythe s’effrita de concert, mais qui dure encore quand même, celui des armées-tampons.
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