Chargée de mission auprès de l'amiral Chabaud (conseiller pour les affaires stratégiques du SGDN) qui nous avait fait part de ses réflexions, en particulier sur les nouveaux paramètres stratégiques, dans notre livraison de décembre 1986, l'auteure développe maintenant un aspect des questions spatiales en étudiant la politique souhaitable de la France en matière d'armes antisatellites.
La France face aux armes antisatellites
À la fois objet spatial et outil militaire, l’arme antisatellites concerne à ce double titre la France. Puissance spatiale, seule ou en coopération avec ses partenaires européens, la France a compris que la maîtrise de l’espace était aujourd’hui le symbole d’une puissance globale réaffirmée et le signe d’une capacité de relever les grands défis technologiques. Mais de plus en plus, la puissance dans l’espace est réservée aux États capables non seulement de le traverser, mais aussi de le militariser. En 1985, la France a lancé Télécom 1, qui dispose d’une capacité de communications militaires, et le complétera par les lancements de Syracuse 2 A et B, prévus pour 1990 et 1997. Il faut également mentionner le lancement de Spot, remarquable satellite d’observation civile et celui, programmé pour 1992 ou 1993, du premier Hélios, destiné à la reconnaissance militaire. Ainsi, la France fait partie des puissances spatiales à part entière et doit se préoccuper de la survie de ses satellites. Elle est à cet égard directement concernée par le déploiement d’armes antisatellites (ASAT). Alors que les deux Grands laissent planer d’importantes ambiguïtés sur leurs perspectives en ce domaine, la France, quant à elle, ne peut que limiter cette incertitude par une évaluation précise du rôle stratégique que pourraient jouer les ASAT en cas de crise ou de conflit.
L’ambiguïté des ASAT
La maîtrise de l’espace n’est pas un enjeu nouveau des progrès technologiques ou des politiques gouvernementales : la conquête de la lune et le programme Apollo ont inscrit dans nos esprits la « haute frontière » comme la nouvelle frontière à conquérir. Sa militarisation, en revanche, pour n’être pas récente, reste davantage incertaine. Elle s’est jusqu’aujourd’hui organisée en trois étapes : dès la fin des années 50 (1957), l’espace est devenu le lieu de passage des missiles balistiques intercontinentaux. En même temps que se diversifiait la nature des relations stratégiques entre les deux Grands, le besoin de renseignements se fit plus grand, et l’aventure malheureuse du U2 américain, abattu en mai 1960, ouvrit la voie à la mise en orbite de satellites d’observation, de surveillance et de communication. Enfin, la parité stratégique atteinte, l’attention des deux superpuissances se porta vers les équilibres de théâtre, et notamment vers les conditions d’un conflit aéroterrestre potentiel : on assista alors (au milieu des années 70) à la mise en orbite de satellites démultipliant les capacités des forces aéroterrestres, c’est-à-dire de satellites de reconnaissance, d’écoute électronique, de surveillance océanographique.
Le paradoxe dans lequel se débat toute politique ASAT aujourd’hui est ainsi né progressivement : parce que les satellites ne sont plus seulement les garants de l’information et de la communication, mais ont acquis une signification militaire grandissante, leur intérêt opérationnel s’accroît, cependant que les risques de déstabilisation grandissent. Chacun a intérêt à leur maintien pour améliorer sa posture offensive, à leur réglementation s’il s’agit de renforcer la stabilité en cas de crise, afin de protéger les satellites « stabilisants », qui assurent la maîtrise du renseignement (les satellites d’alerte avancée sont les plus caractéristiques à cet égard). L’absence de réglementation des antisatellites favorise donc la prolifération des satellites « déstabilisants », c’est-à-dire ceux qui facilitent la gestion de la bataille, et ne rend que plus nécessaire, mais aussi plus difficile, un accord limitatif.
Il reste 89 % de l'article à lire
Plan de l'article