L'auteur nous présente ici ses réflexions sur une question particulièrement délicate : quelle doit être l'attitude des médias face aux actes de terrorisme ? Mais au-delà de quelques règles, il apparaît surtout que le métier de journaliste demande beaucoup de « conscience », de « pureté d'âme », dirons-nous.
Terrorismes et médias
Arme à part entière de la stratégie indirecte, le terrorisme représente-t-il une forme de guerre, auquel cas il faut savoir ou gagner ou dissuader ? Et, puisque la grande presse est parfois otage des actions terroristes — par naïveté, complaisance ou irresponsabilité professionnelle —, peut-on dire que le front des médias est souvent enfoncé ? Questions centrales : les terrorismes politiques internationaux sont une réalité avec laquelle il faudra vivre dans les décennies à venir. Même nos sociétés molles, dont les citoyens traversent une crise spirituelle et refusent fréquemment de défendre ces valeurs démocratiques qui devraient les rendre fiers, ont fini par accepter l’idée que la crise est permanente, et le monde ontologiquemcnt dangereux.
Ce phénomène n’est pas nouveau dans l’histoire contemporaine des relations internationales, mais la marmite proche-orientale, le chaudron iranien et le bouillon de culture méditerranéen en forte expansion devraient nous faire comprendre que les entreprises complexes de déstabilisation risquent d’être cycliques. Carrefour, table d’hôte, la France « accueille 55 000 étudiants maghrébins et proche-orientaux, reçoit 500 000 demandes de visas du Proche-Orient, et plus de 6 % de sa population est de souche arabe ou immigrée. La France est démographiquement le plus musulman des pays européens, rappelle un responsable de service de renseignement. Mais parce qu’elle honore un passé fait de relations et d’amitiés, parce qu’elle fait entendre une voix diplomatique dans la région et qu’elle peut rallier les pays arabes modérés, la France est visée » (1). Or, s’agissant des différentes espèces de terrorisme, les médias opèrent souvent comme certaines armes chimiques : redoutables, parce qu’inhibantes et incapacitantes. Amenés à subir (l’un des objectifs des pays communistes à l’égard des nations occidentales), condamnés à une forme d’inéluctable (symbole de l’invincibilité anonyme), finirions-nous par craindre la dureté des temps ?
Avant de décrire la fragilité parfois masochiste et la formidable puissance spectaculaire des médias — le terme de presse évoque moins cette nouvelle dimension socio-politique —, il faut rappeler que l’inconscient collectif français est familier de la violence en temps de paix (anarchismes, séparatismes régionaux, attentats arméniens…), sans parler d’une véritable culture des tensions sociales (2). Au reste, et ce n’est pas un hasard, la télévision a mis en spectacle depuis belle lurette les « hold-up » sanglants et certains épisodes du grand banditisme. De surcroît, une violence verbale, dogmatique, rhétorique ou littéraire fait partie du vieux fonds de la joute oratoire française (des intellectuels fascinés par l’action y ont joué leur rôle, coupable), ajoutée à cette gangrène actuelle : tout débat d’idées se doit d’être politisé à l’extrême, évolution impressionnante dont on peut espérer qu’elle n’est qu’un moment dans l’histoire de nos sociétés. On relèvera enfin que ces vulnérabilités sont accentuées par une tendance particulièrement inquiétante : devant les enjeux du pays qui exigent des choix à long terme, les hommes politiques sont de plus en plus enfermés dans une durée fondée sur l’unique court terme, tandis que la grande presse s’épuise à mettre en scène l’instant.
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