L'auteur, adjoint au directeur de l'Ifri et rédacteur en chef de Politique Étrangère, nous fait part chaque année de son opinion sur l'évolution de l'environnement international. Cette fois-ci, ce sont les développements politiques succédant à la rencontre de Reykjavik qui ont suscité ses réflexions, car l'avenir de l'Europe, et de sa sécurité en particulier, nous inquiète au plus haut point. Le titre de cet article est tout à fait éloquent, et la conclusion de l'auteur parfaitement judicieuse.
L'Europe entre les inconséquences de Reagan et les sourires de Gorbatchev
Les développements politiques qui se déroulent simultanément à Washington et à Moscou ne peuvent que troubler l’observateur européen par leurs parallélismes contrastés. Chaque jour, par un souci de vérité confinant au masochisme ou à l’autodestruction, la démocratie américaine — et c’est sa grandeur mais aussi ses limites — semble s’attacher à réduire comme, une peau de chagrin la crédibilité et la liberté de manœuvre de son président. Au moment où l’Amérique offre à nouveau au monde le spectacle de son désarroi, l’Union Soviétique, encouragée par une telle aubaine, se plaît à nous surprendre par le caractère radical des discours de son dirigeant (« c’est ou bien la démocratie, ou bien l’immobilisme »). par l’audace calculée et publicitaire de ses mesures parcimonieuses en faveur des plus résolus de ses dissidents, ou par ses spectaculaires propositions en matière de contrôle des armements. L’incompétence dévoilée de Reagan nourrit les sourires de Gorbatchev et l’opinion publique française se reprend à espérer en une URSS, qu’elle perçoit désormais comme une menace moindre pour la paix. Au fur et à mesure aussi que le Proche-Orient exporte davantage sa violence que son pétrole, le terrorisme remplace toujours un peu plus l’URSS dans la perception que les Français se font de la menace prioritaire.
Succédant au « non-sommet » de Reykjavik qui laissa aux Européens l’image d’une diplomatie américaine imprévisible, aventurière et peu professionnelle, la crise de l’« Irangate » ne pouvait que confirmer en France une certaine image ancienne et négative d’une Amérique incompétente et suicidaire, cela plus encore dans un pays où la raison d’État est la seule norme reconnue pleinement en politique étrangère et où le privilège de l’exécutif n’est pas sérieusement contesté, ni par un parlement aux moyens limités, ni par une presse qui ne s’est jamais donné les moyens ou la volonté de devenir un quatrième pouvoir.
L’opinion publique est par essence volatile, et les perceptions et les images sont aisément influençables. On ne saurait exagérer la signification de l’« Irangate » ou de la « glasnost », la volonté de transparence soviétique. Néanmoins, pour tous ceux qui croient à l’existence d’une géographie des valeurs, entre des nations partageant un même idéal démocratique, les développements récents n’en sont pas moins préoccupants et méritent un effort de réflexion et une analyse distanciée et comparative. Au-delà de l’« Irangate » et de l’événement lui-même dans sa déroutante et complexe confusion, il y a une démocratie prisonnière d’elle-même. Qu’y a-t-il derrière les sourires de Gorbatchev ? Autant il est désespérément simple de comprendre la crise américaine, grâce à la transparence bien réelle du système en vigueur aux États-Unis, autant il est malaisé et imprudent de formuler plus que des hypothèses sur la signification de ce qui se passe au Kremlin.
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