L'auteur nous fait part de ses réflexions sur les mécanismes de la stratégie dissuasive. On notera en particulier qu'il lui apparaît évident « qu'en termes de dissuasion, notre frontière se trouve au Rideau de fer ».
Libre opinion - La dissuasion, mythes et réalités
Chacun sait la terreur qu’inspirent les armes nucléaires et l’impossibilité quasi totale de leur emploi. Mais les conditions dans lesquelles cet interdit se matérialise donnent lieu à des supputations qui relèvent trop souvent d’habitudes de penser antinucléaires. Pour concevoir la défense dissuasive d’aujourd’hui, on raisonne alors en termes d’affrontements guerriers d’autrefois et l’on enfante des projets tarés d’inacceptables et monstrueuses batailles atomiques. On envisage des attaques et des ripostes correspondant à des situations dont la défense doit précisément interdire qu’elles se réalisent. « Quand faut-il appuyer sur le bouton ? » est l’archétype des fausses questions de stratégie dissuasive, alors qu’il s’agit essentiellement de faire en sorte que cette irréparable éventualité ne puisse avoir lieu.
Un postulat régit tout raisonnement de défense : il est illusoire de prétendre concevoir un système assurant la stabilité de la paix. Les armes nucléaires, pas plus que celles qui les ont précédées, ne peuvent y prétendre. Elles interdisent simplement, et c’est un progrès considérable, ce qu’il est convenu d’appeler les agressions majeures, c’est-à-dire celles dans lesquelles l’utilisation par l’agresseur de toute la puissance militaire dont il dispose se substitue à l’action politique pour mettre un adversaire en tutelle ou le déposséder de biens, territoriaux, économiques ou culturels, indispensables à son existence. Mais toutes les agressions qui ne visent pas à obtenir d’évidence, c’est-à-dire de façon directement perceptible, un tel effet demeurent possibles et revêtent actuellement un intérêt d’autant plus grand qu’elles demeurent les seules voies possibles d’expression des volontés hégémoniques.
Mais encore faut-il être capable de maintenir cette interdiction des « grandes guerres ». Voilà plus de quarante ans que nous en bénéficions. Depuis que les arsenaux nucléaires existent, tous les responsables des nations possédant de tels moyens sont en effet intimement convaincus que l’immensité des ruines occasionnées par un conflit atomique est absolument inacceptable. La guerre nucléaire est donc actuellement exclue des modes d’action envisageables et, contrairement à ce qui s’affirme parfois, rien sur le plan technique, ni l’accroissement de la précision des vecteurs, ni la disponibilité d’armes à radiations renforcées, ni même l’Initiative de défense stratégique américaine, ne remet actuellement en cause cet état de fait. La perspective, en effet, de la mise au point de boucliers spatiaux antimissiles ne changera rien à l’interdit nucléaire aussi longtemps que leur efficacité pratique n’assurera pas une étanchéité quasi absolue à la pénétration des engins, ce qui demandera sans aucun doute des délais importants.
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