Vauban et nos fortifications du Nord-Est
On semble risquer le paradoxe en évoquant après plus de trois siècles l’ombre de Vauban à propos de fortifications ultra-modernes. Trois siècles remplis par les progrès formidables de l’industrie, c’est beaucoup ; mais trois siècles employés à l’évolution de la pensée humaine, ce n’est pas grand-chose et le paradoxe se dissipe par le fait que Vauban fut sans doute un grand ingénieur militaire, mais qu’il fut surtout un grand esprit et un grand esprit français. Nous trouvons chez lui des explications aux problèmes de l’heure et même, dans une large mesure, des solutions.
La caractéristique intellectuelle de Vauban est d’être parti d’une technicité très assise pour conquérir le domaine qui enveloppait cette technicité, élargissant ainsi sa noble profession jusqu’aux limites du cadre général dans lequel elle occupait sa petite place. Pour situer sa fortification, il a étudié la tactique ; pour attaquer les places, il a perfectionné le tir de l’artillerie ; pour alléger défenseurs et assaillants, il a inventé le fusil à baïonnette. Revêtements et terrassements l’ont amené à écrire un traité sur la culture des arbres. Le recrutement des armées lui a inspiré un système qui s’apparente nettement au service obligatoire. Enfin, et surtout, il s’est penché sur la cellule première de toute organisation, de toute institution, sur l’homme et, après lui avoir réservé la place essentielle dans tous ses écrits militaires, il l’a situé dans l’État et lui a consacré le célèbre « Mémoire sur la Dîme royale ».
Vauban est même arrivé à rassembler et ordonner, dans son esprit, les éléments propres à la mentalité d’un homme d’État ; nul n’en saurait douter après la lecture de sa correspondance avec M. de Puyseux, ambassadeur de France à Berne ; on y trouvera en particulier une analyse étonnante de la situation de la France au moment où Louis XIV va la lancer dans la guerre d’Espagne, les objections de Vauban à cette funeste décision, les malheurs qu’il pressent ; tout est situé sur le plan le plus élevé et témoigne d’une clairvoyance que l’histoire n’a que trop justifiée.
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