Aspects stratégiques
Le Pacifique, durant plusieurs décennies, a été un lac américain avec une domination sans partage de la marine et des forces armées américaines sur l’ensemble de la région. Cette situation n’était pas totalement nouvelle, puisque dès le milieu du XIXe siècle les États-Unis ont commencé à s’intéresser au Pacifique et il y avait même eu dès le début du siècle dernier rivalité avec la Russie ; elle ne prit pas un tour tragique et les relations entre la Russie tsariste et les États-Unis furent sereines durant tout le XIXe siècle. Il faut rappeler que la Russie a été le plus fervent partisan de l’Union durant la guerre de Sécession, et lorsque la Russie d’Amérique fut vendue en 1867 par le gouvernement de Saint-Pétersbourg, elle le fut certes parce qu’elle était jugée indéfendable et de peu d’intérêt, mais les Russes craignaient plus une attaque franco-britannique du type de celle qui avait pu se produire durant la guerre de Crimée qu’une offensive américaine. Le secrétaire d’État Seward qui avait négocié cet achat, fortement blâmé d’ailleurs par une partie du Congrès et de l’opinion, n’était guère suivi quand il rêvait d’un Pacifique Nord entièrement contrôlé par les États-Unis. On l’oublie aujourd’hui, mais au XIXe siècle il y eut un très fort courant dans les milieux diplomatiques américains qui tendait ni plus ni moins qu’à l’annexion pure et simple du Canada ; l’annexion de l’Alaska par Seward était le prélude à celle de la Colombie britannique. Des négociations officieuses eurent lieu entre les Britanniques et les Américains pour se briser très vite sur l’apparition du nationalisme canadien.
Le Pacifique a été le centre de conflits de puissance dès la fin du XIXe siècle et on peut dire que son histoire récente est au fond celle d’une série d’éliminations successives. Le premier acteur exclu a été l’Espagne après la guerre de 1898, qui perdit les Philippines. En 1918, on a chassé les Allemands des comptoirs et des îles qu’ils avaient pu acquérir. En 1945, le Japon s’est vu évincé de toutes les positions qu’il avait conquises dans le Pacifique central à la suite de 1918. Puis, durant les années 1945-1955, la Grande-Bretagne s’est trouvée mise à l’écart, avec beaucoup de discrétion mais également avec beaucoup de fermeté. Londres a été ulcéré lorsqu’en 1947, Washington a opposé un refus poli mais catégorique à son association à l’ANZUS. La relation privilégiée entre la Grande-Bretagne et l’ensemble Australie–Nouvelle-Zélande était défunte, au moins sur un plan stratégique. Dorénavant, les discussions concernant la défense du Pacifique se dérouleront entre l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis. Cette défense a été réglée par une série d’accords militaires, dont les plus importants sont ceux de Radford-Collins de 1951 qui ont défini le partage géographique des tâches entre la marine américaine et celles d’Australie et de Nouvelle-Zélande ; ces dernières ont pris à leur charge une superficie réellement énorme s’étendant sur 100 degrés. Il est vrai qu’à l’époque, la menace était extrêmement faible puisque de bateaux soviétiques, il n’y avait point.
Cette période de la suprématie, de l’hégémonie américaine s’est trouvée mise en question à la fin des années 60 et on peut dater la fin de la « pax americana », au choix, de 1969, c’est-à-dire à l’énoncé de la doctrine de Guam, ou de 1975 avec la débâcle américaine au Vietnam et en Asie du Sud-Est. Le Pacifique a cessé d’être un lac américain, les Soviétiques y ont fait une irruption remarquée puisque la flotte soviétique du Pacifique, qui était la dernière des quatre flottes de l’URSS dans les années 60, est maintenant la première avec près de 40 % du tonnage global et les bâtiments les plus modernes (dont deux des trois porte-aéronefs en service). L’activisme soviétique s’est manifesté dans tous les domaines, avec le BAM destiné à doubler le Transsibérien, l’alliance avec le Vietnam, les ouvertures vers les micro-États du Pacifique Sud.
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