Après son article très argumenté sur le front Nord de l'Europe, l'auteur traite maintenant de l'océan Arctique, zone stratégique très particulière où les éléments naturels constituent des facteurs prépondérants. On y constate, là encore, la rivalité entre les deux Grands, qui se manifeste essentiellement par des activités sous-marines difficilement décelables, la détection acoustique, active ou passive, étant très perturbée.
Arctique : la guerre des glaces
Pendant longtemps, les géopoliticiens et les stratèges ont cru que la géographie constituait l’élément fixe de la stratégie. Nicholas Spykman, émule américain de Mackinder, systématisait cette croyance en disant que les montagnes sont toujours à la même place (1). C’est à l’amiral Castex que revient le mérite d’avoir mis les stratèges en garde contre cette illusion : si les territoires eux-mêmes ne bougent pas, leur intérêt stratégique varie en fonction de l’état de la technique (2). Plus que toute autre région, l’Arctique justifie cette mise en garde : hier inaccessibles, fréquentés seulement par les Eskimos, Yakoutes et autres Yukagirs, connus grâce à quelques explorateurs téméraires, les 12 millions de kilomètres carrés de l’océan glacé constituent aujourd’hui une zone stratégique de première importance (3) grâce à l’avion, qui permet de le survoler, au brise-glace qui rend possible la navigation sur ses contours, au sous-marin nucléaire qui peut se faufiler sous les glaces.
La découverte d’un enjeu
La prise de conscience progressive de l’importance de l’Arctique a été le fait de l’Union Soviétique en raison de la configuration particulière de ses côtes. On sait que ses quatre façades maritimes sont isolées les unes des autres, particulièrement le Pacifique qui se trouve à des milliers de kilomètres de la Russie d’Europe. Les Russes avaient pu découvrir toute l’acuité du problème dès le début du siècle lors de la guerre avec le Japon (1904-1905). Il fallait envoyer des renforts à partir de la Baltique et le projet de les faire passer par l’Arctique fut envisagé et rejeté, les quelques brise-glace alors existants (le premier d’entre eux, le Yermak, avait été construit en 1898 sur des plans de l’amiral Makarov) n’étant pas assez puissants pour garantir le passage.
Dans l’entre-deux-guerres, le régime soviétique reprend l’affaire, avec la mise en place de la route du Nord, opérationnelle dans les années 30 (4) et du système des cinq mers mettant en communication par un réseau de fleuves et de canaux les façades maritimes européennes (Caspienne, mer Noire, mer d’Azov, Baltique, mer Blanche) : projet gigantesque, qui convient bien au goût de Staline, et qui s’accompagne d’un intense effort de recherche dans l’Arctique. L’Union Soviétique est alors très en avance dans ce domaine.
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