Dans la tradition de son père, l'auteur s'intéresse particulièrement au monde arabe et musulman. Sans chercher à être exhaustif, car tel n'est pas son but ici, il met en relief certains des aspects de la déjà longue et tumultueuse histoire des chiites du Liban, sans la connaissance desquels, leur situation, aujourd'hui, ne peut être objectivement jugée.
À propos des chiites du Liban
La guerre, au Liban, a révélé nombre de phénomènes. Il en est au moins un dont on peut déjà assurer que, quelle que soit l’issue de la crise, il aura des effets durables : la prise de conscience d’une communauté, celle des chiites, longtemps défavorisée, désormais bien décidée à occuper sur la scène politique libanaise une place à la mesure de sa vitalité et de ses ambitions. Ayant été, tout au long de l’histoire, la moins pourvue et la plus opprimée de toutes les communautés — au nombre de dix-sept — qui constituent le Liban multiconfessionnel créé par la France mandataire au lendemain de la Première Guerre mondiale, les chiites ne peuvent être tenus pour seuls responsables d’une situation qu’ils n’ont pas créée mais qu’ils auront su, par les moyens les plus divers, et parfois extrêmes, habilement exploiter.
L’imbroglio des affaires libanaises et les passions qui les entourent ne sont pas de nature à favoriser, chez celui qui les observe de l’extérieur, un jugement serein. C’est ainsi que les chiites souffrent d’être mal compris et donc mal jugés. Certains diront que c’est dans leur tradition ! La montée en puissance de leur communauté, à la faveur de la guerre, s’inscrit dans une stratégie — ou des stratégies — d’une relative cohérence. Aujourd’hui, leur poids ne peut plus être ignoré. Encore convient-il d’en bien prendre la mesure, à travers toutes les péripéties qui ont jalonné cette ascension.
Une communauté longtemps défavorisée
Le chiisme est issu d’une scission avec l’orthodoxie musulmane, sunnite, au milieu du VIIe siècle de notre ère, à la suite d’une controverse entre le calife omeyyade Moawiya et le « parti » (chia) de l’imâm Ali, concernant le choix du successeur du prophète Mohammed. Battus, après l’échec d’un arbitrage, dans le combat qui les oppose aux sunnites, les chiites se retirent en Mésopotamie. C’est à l’écart, et dans la persécution, que leur communauté va se constituer. À leur chef, l’imâm, ou guide, qui doit être issu d’Ali ou de Fatima, la fille du Prophète, ils reconnaissent un caractère éminent de maître spirituel inspiré, avec la capacité d’interprétation des bases de la loi islamique. Aussi, à la différence de l’islam sunnite, la communauté chiite se comporte-t-elle, d’une certaine manière, comme une Église, avec un chef spirituel suprême et une sorte de clergé capable de suppléer éventuellement à son absence. Pourchassés, traqués sur les rives de l’Euphrate, les chiites subissent une série d’épreuves dramatiques. Ali est assassiné, à Koufa, par un kharedjite (1). Son fils cadet, Hussein, devenu leur troisième imâm, meurt tragiquement avec ses compagnons à Kerbala, en 680, dans un combat inégal contre des cavaliers omeyyades. Ce « martyre des imâm » qui, pour les chiites, a la valeur rédemptrice d’un sacrifice, est commémoré le jour de l’Achoura par de violentes démonstrations de deuil. Persécuté, le chiisme prend les traits d’une « Église souffrante ». Éventuellement, il devient clandestin.
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