« La féerie cinghalaise », de Francis de Croisset, est bien loin, même si la nouvelle appellation de ce pays, Sri Lanka, signifie « l'île resplendissante » : la féerie s'est transformée en drame, faisant des milliers de morts, des réfugiés, des destructions, et précipitant l'économie dans l'abîme. L'auteur nous résume l'ensemble de ces événements et leurs causes ; il nous présente une synthèse de la situation actuelle.
Sri Lanka : les guerres civiles
Sri Lanka est un véritable puzzle ethnique et religieux (1). La colonisation anglaise, au XIXe siècle, contribua encore à aggraver ces divisions au sein de la population. Les Britanniques développèrent la culture du thé et apportèrent celle du caoutchouc, se procurant des ouvriers chez les castes des intouchables du Tamil Nadu (2). Ces Tamouls, dit Tamouls indiens, dépourvus de droit sur la terre fournirent une main-d’œuvre docile et bon marché, ne nouant aucun lien avec les Tamouls de souche dits Tamouls sri lankais, qui les méprisaient car appartenant à des castes plus élevées. Ces derniers apprenant l’anglais grâce aux missions anglaises et américaines, furent au contraire utilisés pour occuper des fonctions administratives ou commerciales dans les firmes britanniques. Cette politique accentua les divergences avec les Sri Lankais avec lesquels ils vivaient jusqu’alors dans une relative harmonie, s’ignorant plutôt que s’affrontant et demeurant dans des régions différentes. En effet, les Sri Lankais venus du nord de l’Inde, de culture dite aryenne et langue indo-européenne, s’établirent dans le sud de l’île au premier millénaire de notre ère et adoptèrent le bouddhisme. Parallèlement, le Nord était occupé par les Tamouls hindouistes venus du sud de l’Inde. Les Anglais rompirent donc ce délicat équilibre, mais purent imposer leur paix par la force, qui fut immédiatement rompue lorsque vint l’heure de l’indépendance.
Les racines du conflit
Après l’indépendance en février 1948, les Sri Lankais, qui avaient durement ressenti la domination de la minorité tamoule sri lankaise plus encore que celle des Anglais, entreprirent aussitôt de retourner la situation. Les Tamouls indiens furent immédiatement privés de leur citoyenneté, devenant des apatrides et leur rapatriement vers l’Inde organisé. Méprisés par les Tamouls sri lankais, ils se transforment en une minorité ignorée de tous et sans aucun poids politique. Cette virulence des Sri Lankais fait éclater le congrès tamoul et naître une tendance dure à travers le parti fédéral qui, comme son nom l’indique, réclame la transformation de Sri Lanka en État fédéral dans lequel les Tamouls bénéficieraient de droits particuliers, en 1956, après l’arrivée au pouvoir du parti de la liberté de Sri Lanka de Salomon Bandaranaike, le conflit devient aussi religieux. Le bouddhisme s’oriente vers un intégrisme dur et, en cette année du vingt-cinquième centenaire de la mort de Bouddha, le sri lankais devient langue officielle unique. Les Tamouls sri lankais sont accusés d’être des envahisseurs voulant détruire le bouddhisme. Ils protestent et ce sont les premiers affrontements violents entre les deux communautés, faisant des centaines de tués.
Les Tamouls sri lankais ne réagissent pas seulement pour réfuter les accusations portées contre eux, mais en outre parce qu’ils veulent protester contre la transmigration de population sri lankaise dans l’Est et contre les discriminations faites contre eux dans la fonction publique. Le conflit est donc déjà ethnique, religieux, social et politique. Le 25 juillet 1957, un compromis est trouvé entre Salomon Bandaranaike et le parti fédéral. La langue tamoule sera reconnue comme langue minoritaire et employée dans l’administration des provinces du Nord et de l’Est (3), et une certaine autonomie sera accordée. Le clergé bouddhiste prend très mal la chose et, en avril 1958, obtient que le pacte soit annulé. Mais cela ne le satisfait pas et Salomon Bandaranaike est assassiné par un bonze en 1959. Sa femme Sirimavo lui succède. Sur le plan social, elle poursuit la politique de son mari qui, en 1956, avait promis de mettre fin au pouvoir des élites occidentalisées, de mieux répartir les richesses nationales et de pratiquer une politique de promotion sociale grâce à l’accès aux écoles et universités. Sur ce dernier point c’est un grand succès, Sri Lanka atteignant un taux d’alphabétisation de 93 %.
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