Le Pacte de Varsovie est moribond et l’Alliance atlantique doit être redéfinie, avec prudence toutefois car l’avenir peut toujours réserver des surprises ! Quel contenu nouveau peut-on donner à l’Otan et quelle doit être la position de la France à son égard ? Dans son article, écrit pendant l’été, l'auteur, nous livre ses réflexions sur ces questions majeures.
La France et l'Otan : vers une nouvelle alliance
Les historiens retiendront sans doute la rencontre Kohl-Gorbatchev du 16 juillet dernier à Jeleznovodak comme le moment décisif de l’actuelle période de transformation de la sécurité européenne. Même si les alliés de la République fédérale, à commencer par les États-Unis, ont eu le souci d’interpréter l’événement comme résultant essentiellement du rôle de premier plan de la diplomatie américaine et d’une solide position occidentale (1), le « problème allemand » a bien été, en toute logique, réglé par Bonn et Moscou. Or, comme n’avait de cesse de le rappeler de Gaulle, « le problème allemand est, par excellence, le problème européen ». Règle géopolitique élémentaire : par sa position centrale, le statut politico-militaire de l’Allemagne unie commande celui de l’Europe entière. En ce sens, la rencontre du Caucase, dont les acquis devront bien sûr être consacrés par un règlement européen d’ensemble (à 2 + 4, dans les FCE et par la CSCE), fixe sans doute, dans le long terme, les conditions de la sécurité européenne tout en imposant une évolution profonde de l’Alliance atlantique.
La limitation de la future armée allemande à 370 000 hommes (contre 490 000 actuellement pour la seule Bundeswehr) fera de l’Allemagne, donc du Centre-europe, une zone de « basse pression » militaire. Par le biais des FCE, dont ce plafond sera la pierre angulaire, et d’une négociation ultérieure visant à de nouvelles mesures de désarmement, le principe d’une déflation drastique des forces nationales s’étendra à l’Europe dans son ensemble. Quant au rapatriement des forces soviétiques de RDA en trois ou quatre ans (horizon proche, mais concédant aux Soviétiques un répit appréciable pour mener l’opération dans des conditions favorables), il contient en germe le probable retrait à terme d’une grande partie, voire de toutes les troupes occidentales présentes dans l’actuelle RFA. Ces trois ou quatre années à venir mettront en évidence l’absurdité du maintien, sur le territoire d’un pays enfin uni et souverain, de forces étrangères en nombre au total bien supérieur aux forces nationales et à peu près également partagées en deux camps qu’aucun enjeu politique ou militaire n’oppose plus. Les opinions et les classes politiques allemandes, mais aussi américaines, britanniques, françaises, en tireront, pour d’évidentes raisons (surtout politiques en Allemagne, surtout financières chez ses alliés) comme conséquence l’opportunité d’un retrait partiel ou total des forces occidentales (2). En ce qui concerne enfin l’engagement pris par les Allemands de ne pas laisser stationner de forces nucléaires dans le territoire de l’actuelle RDA, il ne fait que s’inscrire dans un mouvement de fond de dénucléarisation du sol allemand et de l’ensemble du Centre-europe. Au total, la résolution de la question allemande ne se traduira pas seulement par le pur et simple retrait soviétique d’Allemagne et de l’Est européen : elle devrait susciter de part et d’autre de l’ex-rideau de fer une évolution de facto relativement symétrique des conditions militaires de la sécurité.
La nécessaire transformation de l’Alliance
L’Alliance devra donc évoluer d’une manière bien plus radicale que ce que prévoyaient les gouvernements alliés, sans même parler des responsables politiques ou militaires de l’Organisation. Tout en restant un élément essentiel de la sécurité de ses membres, elle devra s’adapter aux circonstances nouvelles (réduction des forces nationales, caractère exceptionnel du stationnement de forces en territoire étranger et mouvement de dénucléarisation) et remettre ainsi en question ce qui, depuis le début des années 50, a constitué la triple base de l’Otan : un niveau élevé de forces ; l’intégration des moyens et des stratégies de défense de ses membres ; et l’extension de la dissuasion américaine par le stationnement de la part des États-Unis de nombreuses forces conventionnelles et nucléaires en Europe. Bien sûr, il ne faut pas s’attendre, comme l’a montré le sommet de Londres des 5 et 6 juillet derniers, à des modifications institutionnelles ou structurelles immédiates : malgré un ton dans l’ensemble adapté au nouveau cours des relations Est-Ouest, les Alliés (à l’exception évidemment de la France) ont tenu à réaffirmer, dans la déclaration adoptée à l’issue du sommet, l’importance de l’intégration militaire de l’Otan et ont même envisagé la possibilité de recourir à des corps d’armée multinationaux, c’est-à-dire, semble-t-il, à une intégration plus poussée qu’aujourd’hui (3). Mais en dépit de ces protestations d’orthodoxie « otanienne », à vocation d’abord déclaratoire (mais dont il ne faut certes pas négliger l’impact politique à court ou moyen terme, notamment d’un point de vue français), c’est une tout autre évolution du tissu militaire de l’Alliance qui devrait dans la réalité s’imposer en fin de compte, à la faveur, en particulier, du règlement de la question allemande. L’Otan, progressivement sans doute, cessera d’être le bloc militaire monolithique qu’elle a été depuis le début des années 50.
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