La guerre du Golfe et les deux Grands
L’animosité entre Washington et Bagdad est une constante de la politique régionale. Dès le renversement de la monarchie hachémite en 1958, l’Irak devient suspect de rompre, par son neutralisme, la chaîne forgée autour de l’Union Soviétique pour l’endiguer. La prise de pouvoir par le Baas dix ans plus tard devait accroître la suspicion et faire naître de nouveaux griefs avec la nationalisation du secteur pétrolier et le rapprochement avec l’URSS. Non sans exagération, Washington voit alors dans Bagdad un relais de Moscou, alors que l’Irak cherche simplement à profiter de son ascension pour rééquilibrer à son avantage les positions régionales, politiques et économiques, et pour diffuser son message révolutionnaire.
La rhétorique baassiste demeurant sans effet, l’Iran apparaissant en définitive comme un nouvel adversaire et Bagdad pratiquant l’ouverture vis-à-vis de l’Occident au détriment de Moscou, les Américains, peu à peu, reviennent de leurs préventions. Les relations diplomatiques sont renouées en 1984. Le soutien à l’Irak dans la guerre du Golfe ne cesse alors de se renforcer, sans toutefois aller jusqu’à la livraison d’armement. Les présidents américains ont d’ailleurs d’autres querelles à soutenir : au duel Carter-Khomeyni succède le duel Reagan-Kadhafi. Ce n’est qu’à partir de 1989 que se prépare le duel Bush-Hussein, lorsque ce dernier, jugeant le moment favorable à une reprise de l’avancée irakienne une fois soldé le conflit avec l’Iran, entreprend de relancer les discussions sur un système de sécurité arabe indépendant du reste du monde et, à ce propos, s’interroge sur la légitimité de la présence navale américaine dans le Golfe. L’effort d’armement exceptionnel entrepris par l’Irak, et dénoncé par la presse internationale, accroît le malaise. L’Administration Bush perçoit une menace, mais ne sait comment la traiter, jusqu’à ce que la crise éclate. Comme souvent en pareille occurrence, la Maison-Blanche affiche alors une attitude extrême, passant brusquement de l’hésitation et des tergiversations, sinon des contradictions, à des positions tranchées et apparemment irréversibles.
Pour la première fois depuis la fin de l’équilibre entre supergrands, il s’agit maintenant d’instaurer un ordre régional. Washington souhaite évidemment être associé à la mise en œuvre de celui-ci ; il fera précédent pour d’autres zones du monde. L’événement est donc lourd de conséquences pour l’avenir. Les Nations unies, comme déjà pour la Corée, fournissent une couverture morale et politique. Dans cet ordre régional, il importe qu’aucune hégémonie ne constitue l’embryon d’une force pouvant porter atteinte aux intérêts primordiaux des Américains. En somme, ce contrôle régional revient à cristalliser les situations existantes et à veiller au respect des règles du jeu international, en premier lieu celles du jeu du marché des matières premières. La cristallisation touche par prédilection la non-possession d’armes de dissuasion — nucléaires, chimiques, biologiques, sinon balistiques — susceptibles d’asseoir une hégémonie : les États-Unis ont, de tout temps, été réticents au partage de leur monopole ou de leur quasi-monopole.
Il reste 86 % de l'article à lire
Plan de l'article