Si proche que la Roumanie soit de la France, par la culture, la langue, l’histoire et les relations anciennes entre les deux pays, il fut très difficile, dans la période récente, d’informer avec exactitude l’opinion française sur les changements qui s’y sont produits. Sans méconnaître les difficultés du métier d’informer et les obscurités qui persistent sur les événements de décembre 1989, on peut dire que l’on exagéra beaucoup les résistances qui s’opposèrent alors au changement de régime et que l’on apprécia mal le rôle et l’origine des personnalités qui provoquèrent le renversement de l’ancien régime. Peut-être par réaction a-t-on minimisé l’ampleur des changements qui furent introduits dans les institutions politiques, dans l’organisation économique et dans la vie sociale ? L'auteure offre une analyse originale et intéressante sur la situation présente dans ce pays, en réduisant, à tort ou à raison, la portée historique des expériences libérales qu’il a vécues dans le passé et en insistant sur sa spécificité sociologique.
Le phénomène de l'antipolitique dans la Roumanie d'aujourd'hui
Le 7 novembre 1990, plusieurs associations démocratiques se regroupaient en Roumanie pour former l’alliance civique roumaine. Parmi ces groupes, signataires d’une déclaration d’intentions, le groupe du dialogue social, l’association du 15 novembre, la solidarité universitaire… l’alliance civique déclare « s’adresser à tous ceux qui se considèrent comme responsables de l’avenir de la Roumanie, aussi bien qu’à ceux qui se trouvent au pouvoir. Celle-ci se trouve dans un engrenage qui peut conduire à la catastrophe si les groupes et les personnalités du pays n’engagent pas une alliance viable pour le redressement du pays. L’alliance civique se propose d’agir énergiquement pour aider au processus de développement d’une société civile, seule en mesure d’assurer l’exercice des libertés des citoyens. L’alliance civique considère comme facteur aggravant les formes multiples d’intolérance, de haine, de corruption, d’égoïsme et de mauvaise volonté. L’alliance civique milite pour l’éradication de ces tares et soutient que nous avons tout autant besoin de vérité que de pain. Sans une réactivation rapide des valeurs morales affirmées dans la révolution, notre peuple est en danger de sombrer dans le chaos, dans la barbarie ».
Les signataires de ces lignes, parmi lesquels figurent un grand nombre d’intellectuels du monde scientifique et littéraire, marquent avec force un désir et une volonté de rupture avec le passé, qui devrait être porteuse d’un changement des mentalités et des comportements. Ce projet de recomposition de la société civile est confirmé depuis ces derniers mois, tant par des articles au nom de la quête de la vérité, sous la plume d’Octavian Paler dans România Libera que par des déclarations du philosophe Mihai Sora qui réaffirmait, en février 1991, la nécessité de reconstruire une société civile afin que la démocratie n’en reste pas au stade de l’illusion ou de l’hypocrisie.
Le geste constitutif de ce regroupement, de même que le contenu de la déclaration soulèvent la question : nous trouvons-nous confrontés à un phénomène de rejet de la politique au nom de la morale tel que le définit le Polonais Adam Michnik pour son pays dans les années 70 ? Il déclare, dans une série de réflexions publiées en 1990 intitulées La deuxième révolution : « La politique était devenue le symbole d’une chose sale, moralement ambiguë dont tout homme convenable devait se tenir éloigné. Dans l’opposition, elle était surtout une référence aux valeurs morales qui, malheureusement confrontées au jeu politique, perdaient trop souvent. Il ne s’est pas créé de moralité spécifique de la politique. Il y avait, d’un côté, la politique de la moralité et de l’autre, l’amoralité de la politique » (1).
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