Présentation
C’est une révolution dont nous avons été les témoins ces dernières années avec l’effondrement de ce qui fut appelé pendant des décennies le camp de l’Est et avec celui d’un certain système politique, économique et social : une révolution aussi importante et d’autant de portée que celle qui. en 1917, annonçait, pour une part, l’histoire de notre siècle.
La force pesante des habitudes, la paresse de l’esprit, le poids des conservatismes, ont beaucoup trop longtemps — en France surtout, hélas ! — retardé le moment où l’on en a pris conscience, et la mode fut trop longtemps d’afficher à l’égard des événements de l’Est une sorte de scepticisme mondain qui portait à n’y voir qu’une comédie destinée à tromper à l’extérieur et à ne rien changer d’essentiel à l’intérieur. Beaucoup de spécialistes, ou prétendus tels, ont d’ailleurs entretenu cet aveuglement, continuant à accentuer le retard d’une grande partie des milieux politiques et journalistiques à prendre la mesure de ce qui était en train d’arriver.
À la revue Défense Nationale et dans les travaux de recherche de la Fondation pour les études de défense nationale, nous avons tenté, comme vous l’avez observé, de faire en sorte qu’au contraire les événements de l’Est soient compris et appréciés dans toute leur formidable dimension et avec toutes leurs conséquences, sans hésiter pour cela à rompre avec certains conformismes. C’était pour nous tout autre chose qu’un exercice intellectuel, qu’un effort d’analyse : c’était, avons-nous cru, notre responsabilité que d’attirer l’attention sur l’ampleur des changements survenus au-dehors pour que ne tardent pas ceux qu’il faudrait en déduire chez nous, car il ne s’agissait pas seulement d’une réflexion à mener que de décisions à prendre, le moment venu, par les instances dont c’est la tâche. La nôtre consistait simplement à contribuer à faire prendre conscience que les événements en cours marquaient un tournant de l’histoire et qu’il serait aussi grave de ne pas en tirer les conséquences que, par exemple, après 1945, de préparer les guerres de 1914 ou de 1939 contre l’ennemi d’alors, ou de ne pas voir les transformations en profondeur qui annonçaient la remise en question des empires coloniaux, ou encore de ne pas discerner ce que signifierait l’avènement du feu nucléaire.
Ce but, aujourd’hui, est atteint, mais notre tâche à cet égard n’est pas achevée. Si les milieux politiques et militaires, l’opinion publique en général, ont pris désormais toute la mesure des événements intervenus à l’Est, le débat porte aujourd’hui sur les conséquences qu’il faut en tirer. Il est engagé déjà et dans de nombreuses instances : il est, en quelque sorte, sur la place publique. Toutefois, c’est ici que surgissent deux tentations en sens contraire mais également redoutables : celle de croire qu’après tout il ne faut rien changer, ni les alliances, ni les organisations, ni les doctrines, ni les plans, ni même les budgets ; et celle, au contraire, de tout jeter par-dessus bord, la stratégie, les programmes et, si possible, les crédits. Les uns cherchent, par conservatisme ou par timidité, à préserver les systèmes dont la validité pourtant doit être remise en question ; les autres, par légèreté, oublient ce qu’il y a nécessairement de permanent dans les problèmes de défense et qui tient à l’existence des nations, de leurs intérêts, de leur histoire et de leur géographie.
C’est parce que ces risques sont sérieux et doivent être évités, c’est parce que la tâche de tirer les conséquences des événements de l’Est sur les rapports stratégiques internationaux est immense, que la Fondation pour les études de défense nationale que préside Pierre Dabezies, et le Comité d’études de défense nationale, éditeur de la revue Défense Nationale, ont organisé cette journée d’études. Le but, on le voit, en est ambitieux : il est à la mesure, je crois, de votre attente, de la confiance que vous nous faites et de l’importance cruciale des sujets que nous abordons. ♦