La Turquie et les pays turcophones
Si je devais choisir deux mots pour traduire les sentiments et les réactions de l’opinion turque face aux événements d’Asie centrale, je choisirais ceux de soulagement et de fierté. Soulagement parce que les Turcs, jusqu’à l’effondrement de l’Union Soviétique, avaient l’impression de vivre dans une île entourée d’eaux troubles. Il y avait d’abord cette Union Soviétique qui était ressentie comme une menace permanente, et les pays du Sud, Irak, Iran, n’avaient pas une attitude particulièrement amicale, tandis qu’à l’ouest, il y a les Grecs, les Chypriotes. Donc, pour la première fois les Turcs ont le sentiment de pouvoir respirer. Ils ont découvert un monde turcophone qui va de la Chine aux Balkans et de la Sibérie au Golfe : 150 millions de personnes qui parlent turc, qui sont pour la plupart de la même religion, et dont la présence rompait l’isolement de la Turquie.
Fierté aussi, car les Turcs se sont sentis au centre de cet univers turcophone, un centre spirituel, bien entendu, mais un centre tout de même. La Turquie s’est alors estimée leur protectrice ou tout au moins leur partenaire privilégiée. Depuis deux ou trois ans déjà, les hommes d’affaires turcs s’étaient précipités dans les républiques musulmanes pour tenter de capter ce vaste marché qui s’offrait à eux. Un travail assez important a du reste été accompli puisque plusieurs sociétés ont ouvert des bureaux d’études ou de négoce, concluant des contrats et ouvrant des chantiers, surtout dans le domaine du bâtiment.
Les hommes politiques et les diplomates ont été quelque peu pris au dépourvu, étant restés sur la ligne kémaliste de distanciation. Cependant ils ont élaboré une stratégie relevant de la doctrine kémaliste : ils se veulent fidèles au credo du fondateur de la république tel qu’il a été formulé dans le pacte national de 1920. Ils ont aussitôt condamné sans la moindre équivoque le panturquisme et le panislamisme. Ils ont donc exclu toute velléité d’expansion territoriale, ainsi que le recours à la force pour venir en aide aux peuples frères dans la détresse et d’ailleurs un récent sondage indiquait que la population turque était hostile à 91 % à toute intervention au Haut-Karabakh. Ankara privilégie donc la diplomatie en étroite relation avec Paris et Washington pour régler ce problème qui oppose les Arméniens aux Azéris.
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