Dans notre numéro de mars, le doyen Maurice Torrelli avait donné son opinion sur la stratégie « militaro-humanitaire » qui mobilise actuellement une partie importante des forces armées françaises. Dans l’article qui suit, l’auteur pose la question du bien-fondé de la « diplomatie caritative » qui pourrait très bien être considérée comme un substitut commode – et donnant bonne conscience – à la diplomatie classique.
La diplomatie caritative : alibi ou paravent ?
Dans sa préface à La Rose de sable (Gallimard, 1967), Henry de Montherlant écrivait : « Pourquoi le monde est-il tragique ? Le monde est tragique parce que les gens montent de toutes pièces des stratégies superflues, c’est-à-dire parce qu’ils ne sont pas sérieux ». Cette réflexion — souvent reprise par Raymond Aron qui insista sur la « tragédie de l’histoire » trop ignorée par certains chefs d’État — pose bien la problématique de l’« ingérence » ou de l’« assistance humanitaire », plus connue sous le nom de « doctrine Kouchner ». La « diplomatie du malheur des autres », chère au ministre de la Santé et à l’Action humanitaire, n’a cessé de se développer dans le monde postcommuniste de l’après-guerre froide, soit sous une forme purement caritative, soit sous celle de l’envoi de casques bleus dans de nombreuses régions de la planète, soit sous celle totalement nouvelle d’une action militaire comme en Somalie le 9 décembre 1992, les opérations étant toutes autorisées et légalisées par les Nations unies.
La France, on le sait, est à l’origine du concept d’« assistance à peuples en danger » et prend une part importante aux opérations onusiennes de maintien de la paix (Croatie et Bosnie avec la Forpronu ; Cambodge avec l’Apronuc, mobilisant respectivement 5 000 hommes et 1 500 soldats de la paix, sans oublier la Finul, et notre présence plus modeste en Irak, en Syrie, au Sahara occidental, au Salvador). Question centrale : l’humanitarisme peut-il tenir lieu de politique étrangère à la 3e puissance nucléaire du monde, à la 4e puissance économique, à une « grande puissance moyenne » (Michel Jobert) qui occupe un siège permanent au Conseil de sécurité de l’Onu et qui joue un rôle clé dans la construction de l’Union européenne ?
On peut formuler la même interrogation autrement : la diplomatie caritative ou humanitaire n’est-elle pas une « diplomatie-alibi » ? Celle des casques bleus n’est-elle pas une « diplomatie-paravent » qui dissimule des arrière-pensées politiques ? N’est-elle pas un cache-sexe ou un cache-misère pour une politique étrangère en perdition ? Ou bien au contraire la diplomatie de la générosité et de la solidarité ne serait-elle pas d’un type nouveau particulièrement adapté à un monde nouveau ? Vaste débat que l’on se contentera d’éclairer par quelques réflexions qui devront alimenter d’autres articles et analyses encore plus fouillés.
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