De la « nouvelle stratégie » de Bush à la « diplomatie totale » de Clinton
La fin de la guerre froide a représenté un choc immense pour les États-Unis. Dans un récent article de Foreign Affairs, le général Powell décrit un des entretiens qu’il eut en 1987-1988 avec le président Reagan dont il était alors le conseiller pour la sécurité nationale, et avec M. Gorbatchev (1). Ce dernier leur décrivait son entreprise de réinsertion de l’URSS dans la communauté mondiale sur la base de rapports normalisés. Le général se tourne vers M. Reagan et, écrit-il, nous nous sommes dit silencieusement : « Mais Bon Dieu, ce type est vraiment sincère… ». Il est normal qu’ils aient mis du temps à apprécier l’ampleur des conséquences, il est normal aussi qu’ils aient mis un certain temps à redéfinir leurs buts politiques et la stratégie nouvelle qui doit les servir. Toutefois, depuis peu, la nouvelle Administration, suite à une réflexion dont on méconnaît encore la profondeur et la progressivité dans le temps, a entrepris de redéfinir les buts de la politique extérieure et la stratégie des États-Unis.
Le 26 février 1993, au moment même où le président Clinton la présentait à l’American University, devant le Conseil de l’Otan à Bruxelles M. Warren Christopher traçait les grandes lignes d’une « diplomatie totale » des États-Unis reposant sur trois piliers (2) : élever la croissance économique mondiale au rang d’objectif fondamental de politique étrangère ; mettre à jour les arrangements américains pour les forces armées et la sécurité, afin de faire face à de nouvelles menaces ; organiser la politique étrangère pour contribuer à promouvoir la diffusion de la démocratie et l’économie de marché à l’étranger.
Il me semble aujourd’hui que l’ensemble de la structure politico-stratégique est orienté par deux concepts intimement liés, celui de collective leadership et celui de selective engagement, ce qui en gros signifie d’une part une sorte de partenariat mondial avec le Japon et l’Europe occidentale auxquels on abandonne leurs aires de compétence respectives, et d’autre part une implication rigoureusement limitée aux secteurs où les intérêts fondamentaux des États-Unis sont en cause. La diplomatie américaine qui soutient l’entrée du Japon et de l’Allemagne au Conseil de sécurité avec le rang de membre permanent verrait donc avec faveur la transformation du G 7 en G 3. De ce point de vue, remarquons que les États-Unis, tout en se refusant à exercer l’hégémonie mondiale et à endosser la coûteuse et ingrate défroque de gendarme mondial, tiennent pour acquis les points suivants : la victoire dans la guerre froide leur a coûté trop cher compte tenu du recul relatif de leur position économique ; cela ne signifie pas qu’ils entendent faire payer rétroactivement leur effort, mais il est certain qu’ils se refusent à continuer de financer ce qui n’est pas directement et profondément leur intérêt national ; la notion de selective engagement a déjà fonctionné, en Iraq et par contraste en ex-Yougoslavie. En outre, ils entendent rester la première puissance militaire mondiale, et ils ne toléreront pas qu’un État puisse exercer une menace comparable à celle que les Soviétiques firent peser sur le monde et sur les États-Unis en particulier. Cela explique les fameux scénarios du Pentagone, dont il y a dix-huit mois le New York Times mentionna les fuites et qui suscita une émotion à mon sens excessive.
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