En juin 1993, l'auteur traitait déjà des problèmes de défense dans notre dossier « L’Amérique de Clinton ». En octobre, le général Bernard de Bressy abordait un thème qui prend de plus en plus d’importance : la projection de puissance des États-Unis. Cette fois-ci, l'auteur nous apporte de nombreuses précisions sur la politique de défense américaine telle que la conçoit le secrétaire à la Défense, Les Aspin, et conformément, bien évidemment, aux directives du président Bill Clinton.
La politique de défense américaine de Les Aspin
Alors qu’une réforme d’une ampleur exceptionnelle réoriente la diplomatie des États-Unis, il est courant de dire que ceux-ci n’ont pas de politique étrangère. Même situation dans le domaine militaire : non-intervention en Bosnie, bavures en Somalie, cache-cache avec Saddam Hussein, débat sur les homosexuels dans les forces armées, voilà qui peut donner à penser que la « machine » est désormais sans véritables missions et, pourquoi pas, sans véritable conduite politique. Pourtant, là encore, c’est négliger l’entreprise considérable de complète restructuration de l’outil de défense américain dans la perspective de l’après-guerre froide, tâche placée sous la responsabilité du nouveau secrétaire à la Défense Les Aspin. De son succès ou de son échec dépendront essentiellement les conditions dans lesquelles l’usage de la force sera pratiqué par la première puissance militaire mondiale. Pour les adversaires virtuels comme pour les alliés, l’affaire mérite donc qu’on lui accorde la plus grande attention.
Conditions nouvelles de l’usage de la force militaire
Le point de départ de la réflexion sur la réforme est l’adieu à l’ennemi : la guerre est finie, les États-Unis sont victorieux, la Russie qui rejette le communisme ne constitue plus un adversaire à la dimension américaine. M. Aspin en tire deux conséquences : les États-Unis sont devenus la première puissance militaire mondiale car aucun autre État n’est en mesure de les défier à un niveau comparable ; deuxièmement, ils doivent conserver cette position durablement, ce qui exige que les forces armées subissent un remaniement fondamental afin de pouvoir l’emporter sur des adversaires disposant de potentiels réduits mais capables de nuire de façon non négligeable à la fois aux États-Unis et à leurs alliés. Parce qu’il appartient à cette génération de responsables de la défense pour qui tout procédait de l’Union Soviétique, Les Aspin est convaincu qu’il est urgent d’effectuer un changement d’étalonnage des forces armées américaines : « La menace soviétique conditionnait la dimension et la structure de nos forces » (1). La référence soviétique doit être abandonnée pour laisser la place à un autre système de comparaison qu’il convient de définir aussi rigoureusement et exactement que possible.
Cette mutation affecte également les règles traditionnelles de l’emploi de la force. Aspin est donc conduit à remettre en cause la doctrine Weinberger (2). À la suite de la défaite américaine au Vietnam et du retrait du Liban, le secrétaire à la Défense Caspar Weinberger avait solennellement énoncé, le 2 novembre 1984, les conditions d’emploi des forces armées américaines sous forme de six principes (3) : défense des intérêts vitaux, recherche de la victoire, clarté des buts politiques, révision constante de la relation entre les objectifs militaires et le type de forces affecté, soutien de l’opinion américaine et emploi en dernier recours.
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