L'auteur, de l’Académie de Marine, ancien commandant de l’École supérieure de guerre navale ainsi que des forces maritimes de l’océan Indien, contributeur assidu de notre revue, reprend dans cet article une de ses idées-forces, le « stratomonde », qu’il a d’ailleurs déjà brillamment développée devant de nombreux auditoires, et nous montre avec quel état d’esprit l’avenir devrait être organisé pour que soit évité le naufrage de l’humanité.
Du « stratomonde »
Quand dans les mêmes années Paul Valéry écrivait que « le temps du monde fini commence » et Teilhard de Chardin approfondissait sa réflexion sur la « noosphère », ce n’était pas tant par une espèce de vision prophétique que par l’observation du quotidien, faisant d’eux, avec quelques autres, les rares penseurs qui acceptaient de regarder le futur en face et d’y entrer autrement que comme une prolongation de l’état du moment. Cependant, cette fermeture, que l’un et l’autre ont passionnément examinée et pensée, est porteuse de tellement de conséquences que l’on constate au point de vue individuel comme collectif une espèce de paralysie générale faisant systématiquement rechercher des solutions aux très difficiles questions de l’heure dans les exemples tirés de ce que l’on appelle encore l’ancien ordre, qu’il soit national ou international. Il est vrai que notre époque est difficile et inquiétante, mais c’est ce qui en fait l’intérêt car, ou bien nous lui trouverons des solutions générales harmonieuses, ou bien nous irons de désastre en désastre. La condition de base pour inventer ces solutions et les réaliser est de « voir » le monde des hommes tel qu’il est, un autre monde, en gestation depuis longtemps. C’est la base de toute attitude stratégique responsable, ne se reposant ni sur les habitudes, ni sur les certitudes et encore moins sur la paresse conceptuelle ou la recherche systématique des effets à très court terme.
Un autre monde
En effet, à un monde ouvert ayant vécu pendant des millénaires sur une dispersion horizontale des humains à la conquête d’une terre sous-peuplée et qui paraissait physiquement sans fin, a succédé un monde fermé, dans toutes ses dimensions, physiques, économiques, spatiales, politiques, culturelles et juridiques, avec une densité humaine de plus en plus grande, un espace clos ne paraissant officiellement comme tel que depuis cinquante ans à peine. Il est de plus régi par deux considérables paradoxes.
D’une part, en voie de sédentarisation totale par le biais d’une urbanisation exponentielle, il ne peut vivre et prospérer que par des flux matériels et immatériels de toute sorte, y compris humains, tendant vers un métissage généralisé. Ce mouvement, condition nécessaire de la vie et du progrès, se conjugue en outre avec un violent besoin d’identification culturelle et politique, conséquence de la décolonisation, aussi bien chez le décolonisé que chez le décolonisateur (1), du considérable développement matériel et des chocs médiatiques et culturels afférents, besoin d’identification qui nie ce métissage qu’il ne veut admettre, et encore avec prudence, que dans un ordre matériel strictement délimité.
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