Marine de la France, marine pour l'Europe
Hugues Capet ne possédait guère qu’un domaine fort étroit, sans accès à la mer, lorsqu’il se fit élire roi de France. Deux siècles plus tard, Philippe Auguste avait donné au pouvoir royal ses premières provinces maritimes. La France avait certes connu de multiples incursions sur ses rivages, mais en entamant la lutte contre les Plantagenêt, prélude d’une longue série de conflits avec l’Angleterre, le royaume capétien avait donné une réelle dimension maritime à sa défense. Dimension d’abord fort ténue qui se fit progressivement plus vigoureuse et fut enfin assurée avec l’impulsion décisive que Richelieu donna à la politique maritime de la France, car la mer n’était plus seulement le milieu hostile d’où pouvait surgir la force ennemie ; elle était devenue un lieu d’échanges pour les marchandises de l’Europe et la voie d’accès aux nouveaux mondes et à leurs richesses. Dès lors, elle représentait un enjeu essentiel dans la rivalité des nations. À l’égal des autres puissances européennes, la France avait définitivement pris le large dans un mouvement souvent heurté, mais jamais interrompu.
Elle entretint désormais une relation étroite et continue entre l’ambition nationale et la politique maritime ; relation certes souvent occultée, tant nous avions périodiquement à craindre un ennemi qui se pressait sur la frontière du nord-est, mais indéfectible. Comment la définir et sur quelles bases l’asseoir aujourd’hui, alors que se défont les alliances d’hier et que se recomposent de nouveaux ensembles ? Alors qu’un Livre blanc sur la Défense fixe les grandes orientations de notre défense pour les années futures ? Voici encore une fois venue l’heure des interrogations fondamentales. Entre autres, et non des moindres, quel usage notre pays entend-il faire de la mer et partant, quelle place réserver à la marine, au service de quel projet, dans quelle dimension européenne ?
Défense nationale et politique de sécurité
Le rôle d’une marine dans la défense de la nation peut se concevoir de multiples façons. L’acception la plus étroite en cantonnera le champ à la défense des côtes et à la sûreté des approches, avec en temps de paix la surveillance des eaux territoriales et des zones économiques exclusives en métropole et outremer. Une marine côtière, appuyée par quelques batteries ou des aéronefs mis en œuvre depuis la terre y suffisent. Nombre de marines dans le monde, jeunes et moins jeunes, sont faites sur ce modèle, séduisant par la modicité de son coût et sa simplicité, voire son simplisme. Sans doute y avons-nous cédé nous-mêmes aux premiers temps de notre marine. Philippe VI de Valois avait voulu constituer à l’Écluse une muraille de nefs attachées toutes ensemble… et bientôt ravagée par Edouard III. Vauban préférait encore la construction d’une ceinture de forteresses et l’armement de quelques corsaires à l’entretien d’une flotte jugée dispendieuse. Belles et désastreuses illustrations d’un complexe obsidional fermement ancré dans nos esprits et notre tradition nationale, au nom duquel Voltaire pouvait saluer sans retenue l’abandon des Indes et du Canada ! Une telle politique a des limites évidentes. Pour notre bonheur, le débarquement salvateur dont nous célébrons le cinquantenaire l’a souligné jusqu’à la caricature, car faute d’anticiper sur la manœuvre de l’adversaire, une telle attitude contraint à attendre les coups qu’il portera, où et quand il l’aura décidé, contre les murailles de la citadelle derrière laquelle on prétendrait s’enfermer.
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