La question posée dans le titre pourra sembler volontairement provocatrice. Telle n'est pas l'intention de l'auteur qui souhaite seulement montrer, à partir d'un exemple, celui de l'industrie du raffinage pétrolier, que dans ce domaine le concept d'indépendance nationale a considérablement évolué au cours des dernières décennies et qu'un même terme recouvre une conception différente en 1928 et de nos jours. L'auteur a déjà écrit un article très documenté sur les importations pétrolières françaises en février 1994.
Qu'en est-il de la préservation de l'indépendance nationale dans l'industrie ?
Les lois des 16 et 30 mars 1928 ont permis, au cours des années 30, la création d’une industrie française du raffinage pétrolier. Leur origine remonte à la prise de conscience par les responsables politiques et militaires français, pendant la dernière année du premier conflit mondial, de l’importance des produits pétroliers dans la conduite d’une guerre moderne. Dès lors, la décision de créer par voie législative les conditions économiques de la construction d’une industrie du raffinage pétrolier ne saurait être dissociée d’une politique énergétique globale ni de la perspective géostratégique qui la commande.
Toutefois, une décennie sépare le moment de la prise de conscience du vote de ces lois. Ce retard est certes imputable aux aléas politiques qui rythment la vie publique française dans les années 20 ainsi qu’aux vifs débats d’idées qui opposent les parlementaires sur le degré souhaitable d’intervention de l’État dans l’économie, mais il tient aussi pour une large part aux difficultés objectives d’une telle décision. En effet, les réticences d’une majorité des industriels impliqués dans les affaires pétrolières tout au long des années 20 s’expliquent d’abord par des considérations économiques (sans négliger pour autant l’importance des liens qui peuvent unir certains d’entre eux à des sociétés étrangères). La rentabilité financière des lourds investissements nécessités par la création d’une industrie du raffinage pétrolier leur paraissait des plus médiocres et la compétitivité de ses produits des plus aléatoires face aux importations de produits finis.
Les arguments les plus couramment exprimés étaient au nombre de neuf : les raffineries n’avaient pas de raison d’être dans un pays dépourvu de gisement de pétrole et qui en contrôlait peu ou pas à l’étranger ; le marché français, d’une taille relativement réduite, n’offrait pas un débouché suffisant pour tous les dérivés du pétrole brut et notamment les produits lourds (c’est pourquoi l’importation et le raffinage de nombreux bruts sud-américains, riches en parties lourdes, poseraient alors un difficile problème de vente à l’exportation et donc de concurrence avec les grandes sociétés multinationales) ; l’obligation d’amortir en quelques années et de rémunérer les capitaux qui seraient investis dans cette entreprise pèserait lourdement sur le raffinage, alors que les usines étrangères étaient depuis longtemps affranchies de cette charge (elles n’avaient plus à supporter que des frais d’ajustement au fur et à mesure de l’évolution des techniques) ; l’importation de brut occasionnerait un supplément inutile de dépenses relatives au transport de la fraction du brut utilisée pour le fonctionnement de la raffinerie ou constituant le déchet du raffinage ; une raffinerie éloignée d’un gisement pétrolier devrait acquitter le prix de la matière première importée et le fret plusieurs mois avant l’entrée en fabrication (période à laquelle commençait la charge correspondante d’une usine placée sur les lieux de production) et donc supporter des charges supplémentaires d’intérêts ; l’utilisation de matériels et de procédés industriels propres au raffinage supposerait le paiement de licences et royalties diverses que n’avaient pas à payer les grandes compagnies étrangères, généralement propriétaires de leurs procédés ; le coût final du raffinage devrait également intégrer celui du transport des produits chimiques spéciaux (terres décolorantes, floridine, etc.), en tonnage souvent important, dont l’approvisionnement n’était encore possible que dans les pays de grande industrie du raffinage ; le fonctionnement des raffineries et la mise au point des procédés de fabrication exigeraient le recrutement d’un personnel spécialisé qu’il faudrait faire venir à grands frais de l’étranger, en attendant la mise en place de formations nationales ; dans ces conditions, l’industrie du raffinage ne pouvant vivre sans la protection du fisc, il en résulterait une augmentation générale des prix des produits pétroliers à la consommation.
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