Les conflits à caractères religieux dans le monde
Examiner aujourd’hui le poids du facteur religieux dans la vie politique, c’est s’exposer à mettre en évidence de nombreux paradoxes, si l’on veut bien tenter d’échapper aux lieux communs abusifs sur le retour du religieux, le développement du fanatisme, ou le dépassement de la laïcité.
Nous sommes en effet confrontés aujourd’hui, presque partout dans le monde, à une religion qui n’est en réalité qu’un phénomène secondaire, comme on peut dire de certaines forêts tropicales qu’elles sont des forêts secondaires, créées après que des défrichements importants eurent d’abord rasé la forêt primaire. Partout, même en terre d’Islam, la religion a connu de profonds replis en ce XXe siècle ; partout l’enseignement traditionnel a dû reculer, parfois disparaître pendant des années, devant la nouvelle école, la nouvelle science, la nouvelle politique. Dans le monde entier, ceux qui se réclament de pensées religieuses, au demeurant fort diverses dans les approches qu’elles impliquent de la politique, le font au nom d’une religion qui a perdu de sa saveur première. Cette « secondarisation » du phénomène religieux peut être la meilleure comme la pire des choses : elle conduit vers le catholicisme libéral en Corée du Sud de nombreux représentants des classes moyennes qui y voient une spiritualité universaliste qu’ils associent à la démocratie par opposition aux dénominations protestantes ou au confucianisme encouragés par les régimes dictatoriaux de la guerre froide ; ou encore elle inspire, en Inde, derrière le professeur Ambedkar, le père de la Constitution, un retour au bouddhisme, dont le point principal est de légitimer par un discours en apparence traditionnel, le rejet sans concession du système des castes lié à l’hindouisme.
Cependant, elle peut aussi précipiter des religions en déclin spirituel vers une instrumentalisation grossière et violente par des groupes, issus du plus parfait athéisme, qui demeurent sourds à leurs aspirations éthiques et très attentifs à leurs potentialités antagonistes : nous assistons ainsi en Yougoslavie à une sorte de guerre de religion menée par des athées ignorantins mais fanatiques ; nous voyons en Tunisie, en Égypte, en Jordanie ou en Iran depuis vingt bonnes années, d’anciens communistes et des populistes autoritaires investir les mouvements qui se réclament de la révolution islamiste pour faire avancer un programme bien connu de contrôle total de la société. En Inde même, les réactions intolérantes et meurtrières des mouvements hindouistes radicaux Bharatya Janata sur le plan national et Shiv Sena à Bombay, ne sont pas sans rapport avec le refus d’une partie des classes moyennes bureaucratisées de l’ouverture au marché mondial pratiquée depuis la fin des années 80 par les gouvernements issus du Congrès.
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