Des terroristes seront-ils un jour prochain capables de menacer nos États démocratiques d’une déflagration atomique ? Le terrorisme nucléaire ne constitue-t-il pas un des risques majeurs de cette fin de siècle ? S’agit-il au contraire d’un mythe sans guère de fondement ? Nous avons demandé à Jean-Louis Dufour, spécialiste de la conflictualité contemporaine, consultant militaire de quelques grands médias, auteur en particulier, et avec Maurice Vaïsse, de La guerre au XXe siècle (dont nous avons rendu compte dans notre livraison de janvier 1994), de tenter de répondre à ces questions.
Terrorisme nucléaire, mythe ou réalité ?
Le lundi 20 mars 1995, des gaz de combat étaient volontairement répandus dans le métro de Tokyo. Ce jour-là, le terrorisme a vécu une révolution : l’utilisation d’une arme de destruction massive par des particuliers, membres d’une secte religieuse, à la rationalité douteuse. Que pareil attentat soit ou non considéré comme un échec, cet exemple redoutable ne sera-t-il pas suivi par d’autres terroristes qui pourraient être tentés, pour plus d’efficacité, d’employer des engins atomiques ?
Pourtant le terrorisme nucléaire, nonobstant de multiples rumeurs qui ont couru l’été dernier concernant un éventuel trafic international de matières fissiles (1), n’est pas vraiment d’actualité. Les quatre derniers bilans annuels américains (2) sur les activités terroristes dans le monde n’en font aucune mention. Les spécialistes ou commentateurs n’imaginent d’ailleurs pas l’armement nucléaire mis en œuvre indépendamment des États. Fin 1992, un ouvrage intéressant se pose « 50 questions » à propos de « la prolifération nucléaire », il ignore celle du terrorisme (3). La même année, Jacques Chirac, dans un article d’une grande clarté sur les problèmes nucléaires et de prolifération, n’aborde le sujet que pour mentionner « des groupes terroristes manipulés par les États » (4). Un séminaire de l’Otan sur la sûreté nucléaire, tenu à Oxford en août 1994, n’évoque le problème du terrorisme à aucun moment. Il en a été pratiquement de même à Paris, le 28 mars 1995 (5), lors d’un colloque traitant du même sujet.
Aux États-Unis, réunions, comités, laboratoires, Task Forces, se sont multipliés dans les années 1980 pour se saisir du phénomène. Des rapports ont été publiés (6). Le danger potentiel a été systématiquement analysé afin d’obtenir des autorités concernées qu’elles prennent les indispensables mesures de prévention et de précaution. Cette inquiétude américaine, réelle ou simulée (7), est encore perceptible au début des années 1990. Courant 1992, un rapport de l’université de Princeton, rédigé au sein du Center for Energy and Environmental Studies (8), juge bien réel le risque de voir des terroristes s’emparer d’oxyde de plutonium pour construire une bombe atomique rudimentaire. Plus sensationnel encore, l’année suivante, Alvin et Heidi Toffler, auteurs de Guerre et contre-guerre… (9) se fondant en particulier sur les déclarations de Carl Builder, ancien directeur de la Nuclear Regulatory Commission américaine (10) estiment que les grands problèmes nucléaires de l’avenir ne seront pas le fait des États nations mais plutôt celui « des organisations terroristes, mouvements religieux et autres groupements non nationaux », capables d’accéder d’une manière ou d’une autre aux secrets nucléaires. Les États-Unis ont été fâcheusement impressionnés par l’attentat du World Trade Center, le 26 février 1993, et par celui d’Oklahoma City, le 19 avril dernier. Ceux-ci eussent été dévastateurs s’ils avaient été perpétrés avec des armes nucléaires. Voilà sans doute pourquoi, le 3 mai 1995, Graham Allison, directeur du Center for Science and International Affairs d’Harvard, au vu du désordre russe, écrivait dans le Washington Post qu’« il y (avait) toutes les raisons de prévoir des actions de terrorisme nucléaire à rencontre d’objectifs américains avant que ce siècle ait achevé son cours ».
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