Au début de l'année, l'auteur a prononcé une brillante conférence sur « Francophonie et défense nationale » devant les auditeurs de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN). L'article qui suit est une synthèse approfondie de cette allocution.
La francophonie, nouvel objet de la défense nationale
La mode est aujourd’hui à la remise en cause de l’État national, et de la nation, surtout dans l’acception française de ce terme. En conséquence, la défense nationale et l’esprit qui l’anime faiblissent. Les valeurs, religieuses, républicaines, laïques, s’étiolent. Les intérêts vitaux : politiques, économiques et sociaux, sont moins clairement identifiés. Dans ces conditions pourquoi ajouter des intérêts nationaux à défendre, particulièrement culturels, et admettre la « francophonie » comme objet ? Et de quoi s’agit-il ?
La francophonie : ses divers sens
C’est le fait de parler français, c’est aussi l’ensemble des locuteurs de cette langue. Les vrais francophones sont de langue maternelle (environ 70 millions), d’éducation et de culture (quelque 50 millions) ; les « francisants », ceux qui apprennent et pratiquent le français à des degrés divers sans le maîtriser (quelque 100 millions), font, avec les francophones, un total de 220 millions, soit moins de 4 % de la population mondiale, mais avec le privilège de la présence sur les cinq continents et dans la quasi-totalité des institutions et organisations internationales. Il est nécessaire de conserver ce second rang après l’anglo-américain, car il conditionne beaucoup plus la place de la France que celui de l’allemand, du chinois ou du russe ne porte la puissance de l’Allemagne, de la Chine ou de la Russie. La langue française est en effet porteuse du messianisme et de l’universalisme de la France, de ses messages chrétien, révolutionnaire, laïque… L’importance de la francophonie apparaît avec plus d’évidence encore dans son autre sens : celui d’un ensemble de pays et d’entités territoriales où le français jouit de fortes positions de fait ou d’un statut juridique particulier. Dans plus de quarante pays indépendants hors d’Europe et d’Amérique du Nord, le français est tantôt langue officielle unique ou partagée, tantôt langue seconde véhiculaire d’une partie de l’enseignement et des médias, tantôt langue de fait de l’administration et de la mémoire écrite, ou étrangère apprise par la majorité des élèves. Le dynamisme démographique des seuls pays francisants d’Afrique, dont la population pourrait avoisiner les 600 millions en 2020, permet d’espérer que dans vingt-cinq ans le nombre de francophones et de francisants dans le monde entier pourrait se situer entre 500 et 800 millions. La francophonie mondiale dispose de réserves et peut connaître un brillant avenir, mais à condition de le vouloir et d’aider puissamment au développement de ces pays et de leurs systèmes éducatifs en crise.
La francophonie, depuis la création d’une Agence de coopération culturelle et technique (ACCT) en 1970 à Niamey et la première Conférence, en février 1986 à Paris, des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage, a pris une nouvelle dimension : celle d’une communauté de pays. De 40 en 1986, les participants aux conférences biennales sont passés à 47 en 1993 : 6 totalement ou partiellement francophones d’Europe de l’Ouest et 3 d’Amérique du Nord, 19 francisants, 2 lusophones et un hispanisant d’Afrique, 5 de l’océan Indien (Comores, Djibouti, Madagascar, Maurice, Seychelles), 4 d’Asie-Océanie (ex-Indochine, Vanuatu), 2 du Proche-Orient (Égypte, Liban), 3 des Antilles (Haïti, Dominique, Sainte-Lucie), et 2 d’Europe centrale (Bulgarie, Roumanie). Fondée non sur un traité mais sur de simples décisions des chefs d’État de se réunir périodiquement, de structurer et développer entre eux une coopération privilégiée et exemplaire, la communauté francophone ne saurait être comparée à l’Union européenne (UE). Elle n’en existe pas moins. Elle renforce ses institutions de sommet en sommet, mobilise des crédits multilatéraux (encore bien insuffisants : moins de 800 millions de francs en 1995) que les chefs d’État décident de concentrer sur de « grands programmes mobilisateurs » mis en œuvre par des opérateurs : ACCT, Aupelf-Uref (1), TV5.
Il reste 88 % de l'article à lire
Plan de l'article