Le coup d’État aux Comores au début de l’automne dernier a mis en évidence les profondes contradictions de la société comorienne et le rôle controversé des mercenaires. Trois mois après cet événement déstabilisateur, notre spécialiste Michel Klen, qui connaît bien cette région de l’océan Indien, nous livre une analyse historique, politique et sociale de l’archipel, une étude intéressante sur les fameux « soldats de fortune » et une réflexion sur les principaux enseignements militaires de la dernière intervention française à Moroni.
Comores et mercenaires
Le dernier putsch avorté aux Comores a soulevé de nombreuses questions relatives aux motivations réelles de ses auteurs et aux objectifs précis de ses commanditaires. Cette action locale a provoqué des répercussions qui dépassent largement le cadre régional en raison d’une part des liens étroits qui unissent « l’archipel des parfums » à la France, d’autre part des rapports spéciaux qui existent depuis plus d’une décennie entre Moroni et l’Afrique du Sud. L’épisode mouvementé de l’automne dernier n’est cependant que le prolongement d’une histoire particulièrement agitée qui trouve ses fondements dans l’extraordinaire complexité de la société comorienne.
Les arcanes de la situation comorienne
Un archipel des parfums à l’odeur de soufre
Dans le passé, les quatre îles de l’archipel (Grande Comore, Anjouan, Mohéli, Mayotte) furent le théâtre de nombreuses invasions arabes qui aboutirent au XIe siècle à l’implantation définitive de l’islam. La zone fut ensuite l’objet de convoitises en provenance de Madagascar qui réussit à y établir une certaine influence. Les multiples incursions des envahisseurs malgaches incitèrent les gouverneurs des différentes îles à rechercher des protecteurs extérieurs. C’est ainsi que la France va s’implanter au XIXe siècle (1) dans cette région septentrionale du canal de Mozambique qui offrait des possibilités d’escale intéressantes sur la route des Indes. L’intérêt stratégique de la zone sera ensuite renforcé par des considérations économiques et géographiques : l’archipel des Comores se situe d’une part sur le prolongement de la fameuse voie maritime du Cap qui est empruntée par de nombreux pétroliers, d’autre part à la jonction de l’Afrique et de l’Orient qui fait de cette partie du monde austral l’un des grands axes des échanges internationaux. Pendant la période de colonisation, la France va favoriser la culture de la vanille, du clou de girofle et surtout, sous l’impulsion de la société Humblot, de l’ylang-ylang (plante à parfum). Le développement important de cette dernière ressource explique le surnom élogieux (« archipel des parfums ») qui a été donné à ces quatre îles de l’océan Indien. Après le succès du référendum le 22 décembre 1974 (94 % de oui), l’archipel obtient son indépendance le 6 juillet 1975. Seule l’île de Mayotte (qui a enregistré 64 % de non) reste rattachée à la République française (2), dont elle devient une collectivité territoriale.
Longtemps affaibli par les luttes incessantes que se livrèrent les différents sultans (les Comores ont aussi été surnommées « l’archipel des sultans batailleurs »), le nouveau pays indépendant va encore être secoué par ses vieux démons des divisions politiques. Un mois après son installation à la tête de l’État comorien, le président Ahmed Abdallah est renversé par Ali Soilih qui sera lui-même victime d’un putsch le 13 mai 1978. Revenu au pouvoir grâce à l’intervention des mercenaires de Bob Denard, le président Abdallah sera assassiné dans des conditions controversées en novembre 1989. Le nouveau chef de l’exécutif, Said Mohamed Djohar, est alors élu dans un contexte houleux qui déclenche une vague de contestations en provenance de l’opposition. Les plus fortes protestations viennent de son principal adversaire Mohamed Taki qui accuse le parti vainqueur de s’être livré à des fraudes électorales. Toujours à la recherche d’un équilibre politique introuvable, le président de la RFIC (république fédérale islamique des Comores) est contraint de diriger son pays à coups d’ordonnances et de décrets contradictoires. Son comportement confus explique la décision historique de la Cour suprême qui, en août 1991, tente vainement de destituer le chef de l’État pour incapacité. Par ailleurs, le président Djohar ne réussit pas à rompre avec une fâcheuse tradition voulant que le clan du chef soit toujours le principal bénéficiaire des générosités financières du pouvoir en place. Dans un pays rongé par la pauvreté (le PNB par habitant est inférieur à 500 dollars), le chef de l’État fait en effet l’objet d’accusations virulentes portant sur des privilèges excessifs accordés à ses proches et sur des détournements de fonds publics par des membres de son gouvernement. Dans le même temps, la politique de Moroni est perturbée par de nombreuses crises qui trouvent leur origine dans les interminables rivalités entre les grandes familles et les différents clans. Toutes ces convulsions mettent en jeu un système complexe d’alliances fragiles se nouant et se défaisant très vite au gré des intérêts du moment. Au cours des trois dernières années, le président Djohar aura ainsi connu huit chefs de gouvernement. À toutes ces vicissitudes, il faut ajouter les tentatives de coups d’État qui ont plongé la RFIC dans une spirale de turbulences.
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