La métamorphose de la violence
« Guerre improbable, paix impossible ». La formule de Raymond Aron se vérifie chaque jour. La guerre, au sens habituel du terme, est contenue ; mais fragmentée et localisée, la violence est partout. Vingt-cinq conflits armés polluent aujourd’hui la planète, comme autant d’éruptions volcaniques d’un monde soumis à des crises d’une ampleur, d’une diversité et donc d’une gravité inquiétantes. Nous avons l’impression de vivre en paix dans un monde en guerre, à moins que ce ne soit l’inverse : la violence est paradoxale, et par bien des aspects, échappe au carcan de rationalité dans lequel les États et les organisations internationales ont tenté de l’enfermer. Si la crise affecte toutes les sociétés à des degrés divers et sous des formes multiples, elle affaiblit avant tout les États ; ceux-ci ne disposent en effet ni des structures, ni des moyens, ni des responsables, qui leur permettraient d’affronter avec succès les problèmes du monde contemporain.
Or un État impuissant est un État contesté, et la contestation peut s’exercer de bien des manières, y compris par la violence. La guerre ne naît plus seulement ni essentiellement de la puissance des États, mais de leur faiblesse. L’extension et la généralisation de la violence à la plupart de ceux-ci, son explosion dans certaines sociétés, sont les conséquences de plusieurs phénomènes simultanés qui modifient en profondeur les relations internationales et l’expression des rapports de forces entre les États.
L’inhibition des guerres interétatiques
La révolution majeure de notre époque reste l’intervention de la dissuasion nucléaire dans les relations de puissances : elle est un élément nouveau et décisif dans la maîtrise de la violence des grandes puissances. Ces dernières, depuis plusieurs siècles, étaient le « centre de la guerre », et l’Europe était leur champ de bataille habituel. Depuis cinquante ans, elles ne s’affrontent plus militairement ; la troisième guerre mondiale n’a pas eu lieu, et la guerre Est-Ouest est restée froide. La dissuasion nucléaire agit ainsi comme une révolution stratégique, modifiant l’ordre même de la guerre, contraignant les puissances à exprimer autrement leurs rivalités.
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