Présention
Je ferai quelques remarques rapides sur un certain nombre de points qui seront repris aujourd’hui et demain.
Nous abordons une ère nouvelle. La chute de l’empire soviétique a mis un terme à une période unique dans l’histoire de l’humanité, non tant en raison du phénomène bipolaire qui l’a caractérisée — car l’histoire a connu des précédents, par exemple les guerres du Péloponnèse, qui ont inspiré le premier théoricien de la bipolarité, Thucydide —, mais du fait de la combinaison de la bipolarité et de l’avènement des armes de destruction massive, et plus spécialement des armes nucléaires. La fin de cette période suscite cette nouvelle interrogation : doit-on s’attendre à un retour de la situation classique de paix et guerres telle que nous l’avons connue dans le passé ? La question est fondamentale et se nourrit d’ailleurs des peurs millénaristes : l’effondrement de l’empire soviétique, les résidus nucléaires, les armes de destruction massive, l’interdépendance des risques créés par la globalisation, tous ces phénomènes contribuent à perturber les esprits.
La nature humaine est ce qu’elle est et contient les causes fondamentales des guerres. La fin du XXe siècle n’est cependant pas comparable aux années 30. Tout d’abord, il existe aujourd’hui une incontestable tendance démocratique. Est-elle irréversible ? Dans le sillage de Fukuyama, les optimistes le prétendent. Ils considèrent également cette tendance comme étant universelle et s’appliquant à toutes les civilisations. La question demeure malgré tout ouverte. Autre tendance à approfondir : les conquêtes territoriales sont de moins en moins, ouvertement en tout cas, des buts de guerre ; peut-être même au contraire.
Une évolution favorable a cependant été amorcée. La sécurité collective n’est plus tout à fait un concept vide comme au lendemain de la Première Guerre mondiale. Le concept a pris quelque substance. Durant la guerre froide, nous avons commencé à apprendre à en jeter les bases concrètes. On ne doit pas pour autant fonder tous ses espoirs sur l’ONU, comme ce fut le cas lors de la seconde guerre du Golfe contre Saddam Hussein. La sécurité collective reste encore largement à construire.
Avec la « maîtrise des armements », nous avons également appris à faire du désarmement d’une manière effective et à le contrôler. Il y a donc des germes d’espoir. Sont-ils porteurs pour l’avenir, et dans quel sens ?
Des questions nouvelles surgissent. Allons-nous vers l’affrontement des civilisations ? Samuel Huntington nous apportera des éléments de réponse. S’agit-il plutôt d’une dialectique de la modernité ? Ce sera, je pense, le point de vue qu’exposera tout à l’heure Pierre Hassner.
L’un des phénomènes les plus caractéristiques de la seconde moitié du XXe siècle est l’explosion démographique. La suite du débat nous en précisera les conditions. Est-elle — notamment sur la « ceinture islamique » — porteuse de risques de conflits, de guerres ? Ou les développements économiques, scientifiques et technologiques seront-ils de nature à conjurer suffisamment les effets nocifs qui lui sont associés ?
Nous sommes aussi à une époque où les contraintes globales commencent à se faire sentir. Les travaux du Club de Rome y faisaient allusion au début des années 70. À présent, nous y sommes réellement confrontés, qu’il s’agisse de l’effet de serre, du réchauffement de la planète du fait des émissions de gaz carbonique, etc. D’autres se manifesteront, en liaison d’ailleurs avec les phénomènes démographiques. L’apparition de ces contraintes doit-elle nous porter au pessimisme ? Peut-on y voir de nouvelles sources de conflits ? Ou, peut-on penser que, là aussi, la science et la technologie permettront de trouver des solutions ?
Pour terminer cet inventaire rapide, je reprendrai un point qu’a mentionné le directeur général de l’UNESCO tout à l’heure : la question des armes de destruction massive. Les armes nucléaires font aujourd’hui l’objet d’un grand débat parmi les experts : chacun a pu suivre les controverses liées aux derniers essais français. Ces armes ont-elles vocation à être éliminées complètement ? Ont-elles réellement perdu le rôle stabilisateur qui a été le leur durant la période de la guerre froide ? Les risques de prolifération sont-ils réels et en quel sens ? Leur maintien ou leur simple existence dans le monde de l’après guerre froide est-il un facteur déstabilisant ou au contraire, dans certains cas, stabilisant ? Autant de questions non réglées, ni pratiquement, ni intellectuellement. Nous aurons à en débattre.
Il y a aussi les armes biologiques et chimiques et tous les risques associés à leur utilisation, non pas seulement par des États, mais également par des groupes terroristes. Cela me conduit à évoquer un autre point lié : le développement des communications sous toutes les formes, et qui est aussi l’une des caractéristiques de la fin du XXe siècle. Les facilités de communication bénéficieront autant aux entrepreneurs, au sens large, qu’aux réseaux en tous genres, y compris à ceux des groupes terroristes. L’un des grands phénomènes de la fin de ce siècle est l’industrialisation du terrorisme, l’interconnexion des circuits de la drogue, des ventes d’armes, du crime, etc. Le chiffre d’affaires annuel du trafic de la drogue est de plusieurs dizaines, voire centaines de milliards de dollars. Ces problèmes prennent aujourd’hui une ampleur nouvelle. Ils ont cependant des précédents dans l’histoire, par exemple la piraterie. Là encore, il n’y a pas lieu de s’alarmer systématiquement. La science et la technologie engendrent aussi des aspects positifs, c’est-à-dire la possibilité de contre-mesures ; mais celles-ci restent encore à inventer et à mettre en place.
Telles sont quelques-unes des questions auxquelles nous devrons apporter une réponse aujourd’hui et demain. ♦