L'auteur, directeur de la Fondation pour les études de défense, nous fait connaître ses réflexions sur les rapports entre les hommes politiques et les militaires, liens toujours plus étroits en raison des situations nouvelles.
Le soldat et le politique
Politiques et soldats ont à collaborer. Qu’ils n’en aient guère le goût, c’est affaire à leur sagesse de s’en accommoder, mais leur devoir est d’agir d’accord : il advient qu’ils y manquent… ». Ces lignes sont extraites du chapitre sur le « politique et le soldat » dans Le Fil de l’épée publié par Charles de Gaulle en 1932. Elles sont actuelles. La pensée du général fait toujours autorité en la matière ; la rigueur et la pertinence des analyses, comme le prestige de l’auteur, justifient qu’on se satisfasse aujourd’hui d’une théorie définitive sur la distinction des fonctions politique et militaire ; chacun y trouve effectivement son compte. Cela explique sans doute qu’en plus de soixante ans rien ne soit venu ranimer, encore moins contester, une pensée aussi magistrale, comme si des événements considérables n’étaient pas survenus depuis, comme si tout allait encore de soi et que rien n’avait vraiment changé. Il faut dire que le sujet est délicat, peut prêter à controverses et froisser des susceptibilités ; c’est pourquoi on le préfère dans l’ombre.
Tout oblige aujourd’hui à l’en sortir. Non seulement le couple harmonieux décrit par le général de Gaulle a subi, dès 1940, des échecs retentissants, profonds, renouvelés, mais surtout le fondement même de cette harmonie, l’alternance de la guerre et de la paix dans un cycle maîtrisé, a été bouleversé. La séparation s’est muée en divorce. Le changement de la nature des conflits, ce que j’appelle la métamorphose de la violence, qu’elle soit due en grande partie à l’influence de l’arme nucléaire et à l’empêchement de la guerre, qu’elle se manifeste le plus souvent par le phénomène incontrôlé des crises et par l’empêchement de la paix, transforme sûrement les relations du politique et du militaire, non que chacun d’eux cesse d’y jouer un rôle de premier plan, mais leurs positions respectives doivent être redéfinies.
La défense nationale, toute globale qu’elle fut dans les institutions, ne suffit plus à répondre aux formes contemporaines d’agression. La crise, situation incertaine, intermédiaire entre la paix et la guerre, fait peser de nouvelles menaces, multiples, complexes, insidieuses, auxquelles l’ordre militaire classique est peu adapté à résister. Partout et dans tous les domaines, des besoins de sécurité se manifestent, qu’il faut satisfaire dans l’urgence et avec les moyens du moment. Il appartient dès lors au politique et au soldat de réinventer une stratégie pour les temps modernes ; si elle n’est plus l’art d’une guerre désormais improbable, peut-être devrait-elle progressivement devenir l’aptitude à comprendre et à maîtriser les crises, quels que soient leurs modes d’expression et leurs degrés de violence. Pour épouser son époque, l’homme de guerre doit se faire stratège, c’est-à-dire dans le même temps penseur de la violence et responsable de la sécurité.
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