À la suite de la cessation des essais français, de la signature par notre pays d’un certain nombre de traités, de la loi de programmation militaire votée cet été, il a voulu nous donner son sentiment sur l’avenir de notre politique et de notre système de dissuasion, tel qu’il le perçoit actuellement.
Perspectives d'avenir de la dissuasion française
Il peut paraître prétentieux de traiter de ce sujet alors que les nouvelles menaces, qui sont apparues depuis la fin de la guerre froide, de toute évidence ne relèvent pas de la dissuasion nucléaire, que l’« empire du mal » qui en avait été la raison d’être, s’est effondré, et que l’avenir des relations internationales est plus incertain qu’il n’a jamais été. Or nous savons, pour nous y être essayé autrefois sous l’égide des maîtres de l’époque, que la prospective est une science encore plus inexacte que la météorologie, et que les « tendances lourdes » sur lesquelles elle s’appuie ne préjugent que bien rarement le long terme ; aussi nous bornerons-nous ici à explorer le moyen terme, c’est-à-dire l’avenir des deux prochaines décennies. D’autre part, si nous nous sommes efforcé de recueillir nos informations aux meilleures sources, nous n’avons pas eu accès, bien évidemment, aux secrets qui couvrent dans notre pays, plus que dans d’autres, le nucléaire militaire.
Notre seule qualification pour l’aborder sera donc d’avoir été un observateur attentif de la naissance aux États-Unis du concept de dissuasion, puis de son adoption en France, ainsi que de la création et du développement des forces chargées de le mettre en œuvre, au point d’avoir entrepris d’en écrire l’histoire, après avoir recueilli les témoignages de la plupart de leurs acteurs encore en vie. Cette intimité de plus de quarante ans avec le sujet nous a aussi amené à faire part périodiquement de nos réflexions sur son évolution aux lecteurs de cette revue, et cela à la seule fin d’animer leurs propres réflexions. Tel est donc encore notre propos ci-après.
Développement de la délégitimité du nucléaire
La première tendance lourde que l’on constate depuis la fin de la guerre froide est le développement, tant dans les opinions publiques qu’à la tête des États, de la contestation du nucléaire. Si nous disons développement, c’est que celle-ci existe depuis Hiroshima, y compris chez nous, et même alors chez un personnage aussi peu pacifiste « béat » que le général de Gaulle, puisqu’il a écrit dans ses mémoires : « Je fus alors tenté par le désespoir, en voyant paraître le moyen qui permettrait, peut-être, aux hommes de détruire l’espèce humaine ». De son côté, le premier gouvernement de la IVe République déclara qu’il apporterait son soutien actif à l’interdiction totale de l’arme nucléaire, et cela restera la position officielle pendant près de dix ans. Quant à l’opinion publique française, chauffée il est vrai par la propagande soviétique, elle était pour une bonne part franchement hostile à cette arme, comme l’avaient montré le succès, en 1949, du congrès mondial des « combattants de la paix », puis celui, en 1950, de l’appel de Stockholm.
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