Parmi les livres - Les chômeurs et la jolie dame
« En quelque soir, par exemple, que se trouve le touriste naïf,
retiré de nos horreurs économiques,
la main d’un maître anime le clavecin des prés ».
Arthur Rimbaud, Soir historique.
Viviane Forrester a une idée (1). Avoir une idée n’est pas si mal. Beaucoup n’en ont aucune, et s’en contentent. L’idée de Mme Forrester, unique mais vigoureuse, est à l’opposé de la « pensée unique » (2), qu’elle combat de la plume alerte du pamphlétaire. Le travail, terme noble aujourd’hui dégradé en emploi, est le fondement de notre société. Malédiction originelle, source de biens et de vertus, étalon du mérite, le travail est, depuis la nuit des temps, la grande affaire des hommes. Or les hommes en ont si bien perfectionné les outils, la télématique a tant multiplié la puissance de leurs bras et de leur cerveau que peu d’entre eux suffisent désormais à produire nécessaire et superflu. Voilà le travail sens dessus dessous et branlante la société qu’il fondait ; mais nous sommes si habitués à l’ordre ancien et si mal préparés à sa disparition que, pour échapper aux « épouvantes de la vacuité », nous nous refusons à voir la vérité en face, cependant que nos gouvernants déploient de grands et charitables efforts pour camoufler la catastrophe et prolonger la vie d’un concept agonisant. Ce faisant, on engendre l’angoisse inverse. La croissance, disent les politiques, va reprendre, le chômage n’est pas une fatalité, nous allons en venir à bout, travaillez braves gens ! À ces mensonges tous s’efforcent de croire et les chômeurs y croient si bien que la honte s’ajoute à leur misère.
Telle est l’idée, forte, autour de laquelle brode Viviane. La situation du travail, en son ambiguïté, n’est pas due qu’à la force des choses. Des acteurs s’emploient à l’aggraver, animés de mauvaises intentions. La honte qui accable le chômeur le paralyse, « d’où l’intérêt des pouvoirs à y avoir recours et à l’imposer ». Il y a grande impudence à baptiser « forces vives de la nation » ces méchants tout occupés d’eux-mêmes et qui, mondialisation oblige, se moquent des frontières. Au reste, les vrais maîtres de l’économie sont des organismes planétaires, Banque mondiale, OCDE ou FMI. Plus encore, le coupable est « le système », entendez le modèle libéral. Le profit devient lui-même autonome, bien virtuel à exploiter, dont les produits financiers « dérivés » offrent l’exemple extrême.
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