La puissance européenne, concept du XIXe siècle, fait peur. C’est pourquoi on lui a substitué en cette fin de siècle pudique le sigle abstrait et neutre d’lESD. Les Européens qui, avec l’euro, se préparent à défendre vigoureusement leurs intérêts sur le marché des devises, sauront-ils, à l’égal de partenaires américains qui assument « leurs responsabilités globales » sans guère de complexes, se constituer en vrai pôle de puissance capable à la fois de garantir la,sécurité de leur aire d’influence et de participer à la stabilisation du monde ? C’est la question que pose l'auteur en examinant l’interférence euro-américaine en Méditerranée qu’a révélée la réforme des structures militaires de l’Otan.
La puissance européenne, un enjeu de taille
Ce qui se joue en ce premier semestre chargé en rendez-vous stratégiques européens, c’est la réussite d’un pari : celui que la France a fait de la capacité des Européens à assurer leur sécurité collective, en d’autres mots celui de la puissance européenne, une perspective ambitieuse qui résulte en France d’un long processus de maturation.
De 1966 à 1997, le cheminement est lent, confus parfois, mais somme toute assez droit : au départ, le refus de la politique des blocs et le choix d’une politique de défense strictement nationale ; à l’arrivée, le refus de l’impuissance relative et le choix d’une stratégie européenne comme multiplicateur de stratégie nationale. Ce faisant, si la France met peu à peu de côté un certain mythe d’indépendance nationale, tant s’en faut qu’elle renonce à sa singularité stratégique.
Déjà, en 1983 lors de la crise des euromissiles, elle montrait clairement que « sa sécurité commençait à la frontière de ses voisins », selon la formule qui sera adoptée plus tard. De cette analyse lucide sortait la relance franco-allemande qui entraînait bientôt le retour au premier plan de l’Europe de la défense, concrétisé par la réactivation de l’UEO. S’ensuivit une série d’ajustements que la chute du mur de Berlin prit de court. C’est alors que le projet de puissance européenne a pu gagner en densité, en pertinence, en complexité aussi, car plusieurs modèles peu compatibles interféraient, dont on trouve encore la trace dans l’article J4 du traité de l’Union européenne, à la rédaction particulièrement embarrassée.
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