Il y a une Méditerranée mythique, celle de « l’être profond » dont parlait Fernand Braudel ; mais il est un autre mythe de la Méditerranée, celui qui en ferait, comme par prédestination, une zone d’équilibre et de paix. Or, il est permis de se demander si elle a jamais vraiment existé en tant qu’ensemble unitaire et si nous n’idéalisons pas, ce faisant, les relations séculaires entre ses riverains en y voyant l’expression d’une histoire partagée, alors que celle-ci a été surtout jalonnée de leurs antagonismes. Certes, elle a constitué un extraordinaire champ d’échanges de toutes sortes, notamment humains, culturels, spirituels, économiques ; mais elle a surtout connu des conflits, elle n’a été pacifiée qu’au cours des périodes où quelques puissances l’équilibraient dans le rapport de leurs forces ou bien quand elle a eu un maître pour la dominer.

Pendant les trente ou quarante dernières années, la Méditerranée a vécu essentiellement sous la férule d’un régime des blocs qui détournait de voir dans leurs vraies dimensions tant d’évolutions qui pourtant s’opéraient, et de percevoir beaucoup de tensions latentes et de crises naissantes qui se trouvaient, de par ce régime, retenues ou contenues sans être jamais résolues.

Aujourd’hui, il n’est plus possible de tricher. C’est une Méditerranée pour la première fois sans maître qu’il faudrait pouvoir pacifiquement irriguer de coopérations diverses et multiples, dans le respect de nations riveraines ayant toutes droit à la reconnaissance de leur identité et de leur souveraineté. Cependant, parce que souvent l’une est encore incertaine et l’autre contestée, l’incompréhension, l’insécurité et l’instabilité tendent à y prévaloir, avivées par des disparités économiques, sociales et démographiques, facteurs également de désordres et de violences à la fois à l’intérieur des pays eux-mêmes, et entre le Nord et le Sud. Ainsi, de ces espaces qui s’étendent entre les grands ensembles régionaux qui tendent désormais à redessiner le monde, la Méditerranée apparaît-elle comme l’un des plus exposés aux crises et aux conflits.