Conformément à ses habitudes depuis plusieurs années, l’amiral Duval, ancien président de notre Comité et ancien directeur de notre revue, nous présente la situation actuelle de l’armement nucléaire dans le monde, sujet sur lequel il est un éminent spécialiste. Voici donc cet « état des lieux » au 1er janvier 1998.
L'arme nucléaire dans le monde : « état des lieux »
Chaque année, nous faisons le point dans cette revue des problèmes qui se posent à la pérennité de la dissuasion nucléaire française. Aujourd’hui, nous voudrions tenter de dresser un état des lieux de la perception de l’arme nucléaire dans le monde, afin, bien entendu, d’en tirer des conclusions pour l’avenir de notre dissuasion, et aussi pour celui d’une éventuelle dissuasion européenne (1).
Développement de la contestation antinucléaire
Si la licéité de la dissuasion nucléaire n’a pas été remise en question sur le plan international depuis l’arrêt ambigu pris par la Cour internationale de justice en juin 1996 — c’est-à-dire qu’elle « ne pouvait conclure sur son caractère illicite dans le cas d’une circonstance critique de légitime défense dans laquelle la survie même d’un État serait en cause » —, sa légitimité a été sérieusement contestée lors de trois événements très médiatisés, à savoir la publication du rapport final de la commission de Canberra que nous avions déjà évoquée l’année dernière, la déclaration fracassante qui a suivi du général américain Butler, ancien commandant du Strategic Command, et enfin leur approbation par un parterre d’une soixantaine d’officiers généraux américains (et russes) — il est vrai à la retraite —, dont le général Goodpaster, ancien commandant suprême de l’Otan en Europe. Le général Butler avait alors déclaré notamment : « Les armes atomiques sont affreusement chères, par définition dangereuses, militairement inefficaces et moralement insoutenables », et il avait appelé à leur rapide élimination. Il allait revenir à la charge en janvier de cette année dans son discours d’acceptation du Henry Stimpson Center Award for Distinguished Public Service. Ce centre allait par ailleurs diffuser en mars dernier, sous la signature du même général Goodpaster, un rapport intitulé An American Legacy : Building a Nuclear Free World.
En France, c’est seulement récemment que le rapport de la commission de Canberra a été largement diffusé, sous le titre : Éliminer les armes nucléaires, et avec une longue introduction de l’ancien Premier ministre Michel Rocard, membre de la commission. Celle-ci, sous la présidence d’un Australien (représentant de son pays à l’Onu), comportait par ailleurs deux Américains (l’ancien secrétaire à la Défense McNamara et le général Butler), deux Anglais (dont le maréchal Garner, ancien chef d’état-major de la défense), deux Suédois, un Russe, un Chinois, un Japonais, un Égyptien, un Malaisien, un Srilankais (l’ancien président de la conférence sur la révision et l’extension du traité de non-prolifération), et enfin le professeur Rotblat, président des conférences Pugwash, et qui, à ce titre, avait reçu en 1995 le Prix Nobel de la paix. Quant à la déclaration finale de la commission, elle comporte un « appel aux États-Unis, à la Russie, au Royaume-Uni, à la France et à la Chine, pour qu’ils donnent l’exemple en s’engageant sans équivoque à éliminer toutes les armes nucléaires ». Elle ajoute discrètement, en s’adressant alors aux trois États nucléaires clandestins (Israël, Inde, Pakistan) : « Tous les autres gouvernements doivent se joindre à cet engagement et contribuer à sa réalisation ». Suivent les mesures recommandées pour « une approche progressive (de cette élimination) sur la base des traités existants » : celui de non-prolifération (TNP), celui d’interdiction totale des essais nucléaires (Comprehensive Test Ban Treaty : CTBT), celui à venir sur l’arrêt de la production des matières fissiles pour la fabrication d’armes nucléaires (Fissile Material Cut off Treaty : FMCT), ainsi que sur le principe de « non-emploi en premier » (no first use). On peut noter aussi que, tout récemment, l’Académie nationale des sciences des États-Unis — qui n’a toutefois pas la même audience que la nôtre — a de son côté publié un rapport intitulé The Future of Nuclear Weapons Policy, qui reprend à peu près les mêmes thèses.
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