L’année 1997 a été marquée par des bouleversements importants en Afrique et en Asie orientale, qui ont surpris la quasi-totalité des observateurs politiques. Ces événements majeurs ont souvent été analysés dans la précipitation par de nombreux commentateurs. L'auteur a voulu échapper aux « sirènes de la panique » et prendre un certain recul pour étudier ces transformations qui ont introduit de nouvelles donnes stratégiques et économiques. C’est pourquoi il nous livre ses réflexions sur ces « ondes de choc » qui ont secoué un échiquier géopolitique en pleine mutation.
Afrique et Asie orientale : les grands tournants de l'année 1997
La décennie de l’imprévisible : ce constat traduit bien le caractère particulier de la période agitée que nous sommes en train de vivre. Après l’effondrement de l’empire soviétique et la fin de la guerre froide, les grands équilibres stratégiques de la planète ont été radicalement modifiés à partir de 1991. L’échiquier géopolitique a continué d’être perturbé par les secousses de la guerre du Golfe et du conflit dans l’ex-Yougoslavie. Dans ce jeu d’incertitudes, l’année 1997 a été féconde en événements majeurs qui ont surpris par leur brutalité. Les convulsions en Afrique centrale, les remous monétaires en Asie orientale et l’apparition d’une nouvelle Chine ont ainsi introduit des données politiques et économiques qui devraient avoir des répercussions capitales sur l’histoire mondiale à moyen terme.
Les bouleversements en Afrique centrale
Un sous-continent à la dérive
La chute du président zaïrois Mobutu en mai 1997 constitue le fait le plus important et lourd de conséquences de ces dernières années en Afrique. Le séisme est parti de la région des grands lacs après le génocide qui a ébranlé le Rwanda au cours de l’été 1994 et la prise du pouvoir à Kigali par le Front patriotique rwandais (FPR) à majorité tutsie. Le gouvernement déchu à dominante hutue et ses forces armées se sont alors repliés dans le Kivu à l’est du Zaïre. Dans leur fuite, les partisans de l’ancien régime rwandais ont été suivis par plus d’un million de réfugiés hutus. La province orientale du Zaïre se transforma ainsi en un foyer d’opposition hutu qui réorganisa progressivement ses forces militaires. La guerre civile rwandaise trouva alors un prolongement dans le Kivu, qui devint l’épicentre du conflit. Les manifestations de l’extension de cette tragédie de l’Afrique centrale se traduisirent par des incursions multiples de part et d’autre de la frontière de bandes armées (soldats du FPR dans un sens, miliciens hutus dans l’autre). Ces turbulences vinrent se greffer aux agitations locales qui déstabilisaient le gouvernement central de Kinshasa depuis plusieurs années. Depuis le début des années 90, le Kivu paraissait en effet comme le principal centre de tensions du Zaïre. Dans cet espace en bordure des grands lacs, la permanence des actions de violence avaient abouti à une situation extrêmement confuse. Cette complexité sanglante s’exprimait essentiellement dans les affrontements interethniques qui opposaient les populations autochtones aux Banyarwandas (1), sur fond de litiges fonciers et de sentiments xénophobes. À ce tableau explosif venait s’ajouter la survivance de guérillas limitées, menées par des groupes d’opposition armée au régime de Mobutu ; et parmi ceux-ci, le mouvement de Laurent-Désiré Kabila.
Pour déclencher l’insurrection qui devait finalement renverser le dictateur zaïrois, Laurent-Désiré Kabila n’eut pas de difficultés à se rallier les populations en raison du fort sentiment de rejet que la plupart d’entre elles éprouvaient à l’encontre de Mobutu. Le marasme économique qui sévissait dans la plus vaste nation de l’Afrique centrale (2,3 millions de kilomètres carrés) avait complètement désorganisé les structures de l’ancienne colonie belge, plongé le pays dans une situation de pauvreté extrême et provoqué des famines à grande échelle. Par ailleurs, le régime honni par des habitants acculés à la survie était rongé par une corruption généralisée. Le pouvoir avait été confisqué par une oligarchie disposant d’une fortune colossale. Le Zaïre n’était plus un État, mais plutôt une expression géographique devenue prisonnière d’un système anarchique. Dans cette conjoncture de déliquescence, Laurent-Désiré Kabila, qui s’était retrouvé à la tête de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL), récupéra le mécontentement généralisé pour entamer sa marche victorieuse vers Kinshasa. Dans leur progression, les combattants de l’AFDL ne rencontrèrent pratiquement pas de résistance de la part des forces armées zaïroises (FAZ), depuis longtemps désorganisées et démotivées, à l’image d’un pays en décomposition. Dans cet épisode, les FAZ s’illustrèrent davantage dans des actions de pillage que dans des faits de guerre.
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