Ce conflit épisodique, commencé il y a deux ans, se transforme en véritable guerre. D'un côté l'Éthiopie avec ses 50 millions d'habitants, coupée de ses anciens accès maritimes par le retour à de vieilles frontières coloniales, et de l'autre côté l'Érythrée et ses 3 millions d'habitants qui, au prix d'une rébellion de 30 ans contre le pouvoir éthiopien, a conquis son indépendance en 1993. Cette situation a eu pour conséquences la montée des tensions économiques, politiques et territoriales, de conflits de frontières, qui se développement dans un climat de plus en plus agressif sur les bords de la mer Rouge. L'amiral Labrousse souligne les origines de cette guerre qui devient inévitable après la suppression de l'accès à la mer de l'Éthiopie.
Le conflit Éthiopie-Érythrée : origines d'une guerre annoncée
Dès 1857, avant même que fût réalisée l’unité italienne, le Premier ministre Cavour s’était rendu compte de toute l’importance que pouvait avoir pour l’Italie la possession d’une colonie en mer Rouge sur la route des Indes. Cependant, la nécessité d’achever avant tout l’unité nationale ne lui permit pas de donner suite à ses aspirations coloniales ; il fallut attendre le 17 novembre 1869, jour d’ouverture du canal de Suez, pour que l’importance d’une base en mer Rouge fût de nouveau au premier plan de l’actualité italienne. Le 11 mars 1870, l’Italie s’installait à Assab, dont le territoire, par suite d’accords locaux, s’agrandit peu à peu, et fut déclaré en mars 1882 colonie italienne. En 1885, elle occupa Beylul sur la côte au nord d’Assab. Jusqu’à cette date, la côte africaine de la mer Rouge, après avoir été visitée dès 1517 par les Turcs, était placée sous la juridiction du khédive d’Égypte qui, en vertu d’un traité avec la Grande-Bretagne signé en 1877, étendait son autorité de principe jusqu’au cap Guardafui en Somalie du Nord. L’Égypte ne pouvait occuper militairement tous les points de cette immense côte, et maintenait de faibles garnisons à Massawa, Beylul, d’où elle fut chassée par les Italiens, Tadjourah et Zeylah. Dans l’intérieur, elle n’occupait que les points importants. Depuis 1881, la révolte du Soudan, qui avait pris le nom de mahdisme, s’était développée avec rapidité, et le 3 juin 1884 le gouvernement britannique avait signé un accord avec le roi d’Éthiopie Johannes IV, par lequel ses forces dégageraient et évacueraient les garnisons égyptiennes du Soudan du Sud encerclées par les derviches pour qu’elles soient rapatriées par Massawa. En échange, l’Éthiopie devait recevoir ce port et tous les points d’appui de l’Égypte en Érythrée. En effet, le khédive avait prévenu Constantinople qu’il se trouvait dans la nécessité d’abandonner Massawa comme il l’avait fait pour ses points d’appui côtiers dans le Sud jusqu’au golfe d’Aden. De son côté, le gouvernement ottoman déclarait qu’il ne pouvait se charger de remplacer les Égyptiens. Le dégagement et l’évacuation des garnisons égyptiennes du Soudan du Sud furent menés avec succès par le ras éthiopien Alula, mais Londres, qui avait secrètement négocié avec Rome, ne tint aucun compte de l’accord signé avec Johannes IV, et incita les Italiens à occuper rapidement Massawa avant les Éthiopiens. Ce fut fait le 5 février 1885 par un corps expéditionnaire parti de Naples le 27 janvier avec, sur place, pour intimider les Égyptiens, un navire de guerre britannique et un fonctionnaire de Londres. Après Massawa, l’Italie occupa dans le courant de l’année 1885 toute la côte de l’Érythrée jusqu’à Assab. Il lui restait à fixer les frontières terrestres de la nouvelle colonie.
Celles-ci furent l’objet d’un certain nombre de traités, en particulier avec l’Éthiopie : traité d’amitié et de commerce (dit d’Uccialli) du 2 mai 1889 entre l’Éthiopie et l’Italie ; lettre du 12 février 1893 de dénonciation par l’Éthiopie de ce traité ; traité de paix du 26 octobre 1896 entre l’Éthiopie et l’Italie ; convention pour les frontières entre la France et l’Éthiopie du 20 mars 1897 ; protocole du 24 janvier 1900 entre la France et l’Italie ; protocole annexe du 10 juillet 1901 entre ces dernières ; traité de délimitation du 10 juillet 1900 entre l’Éthiopie et l’Italie ; annexe du 15 mai 1902 au traité du 10 juillet 1900 relatif à la frontière entre l’Éthiopie et l’Érythrée et au traité du 15 mai 1902 relatif à la frontière entre le Soudan et celle-ci ; traité d’amitié, de conciliation et d’arbitrage du 2 août 1928 entre l’Éthiopie et l’Italie ; convention italo-éthiopienne du 8 juillet 1929 ; accords franco-italiens du 7 janvier 1935 dits accords Laval-Mussolini, dénoncés par ce dernier en décembre 1938 (en outre, la Cour internationale de justice des Nations unies, dans son arrêt du 3 février 1994 concernant « l’affaire du différend territorial entre la Libye et le Tchad », et qui avait trait à la bande d’Aozou, qui figurait dans les accords Laval-Mussolini, souligna que les instruments de ratification de ces accords ne furent jamais échangés, et que, de ce fait, ceux-ci n’entrèrent jamais en vigueur, ils étaient donc nuls et non avenus) ; convention sur les frontières entre la France et l’Éthiopie, du 27 mars 1954 (cette délimitation fut incomplète car la délégation éthiopienne sur le terrain refusa d’aller au-delà de Déda’étu pour aborner la frontière jusqu’à la mer, c’est-à-dire jusqu’au Ras Doumeira. La raison invoquée fut l’existence des accords Laval-Mussolini de 1935 qui traçaient cette frontière de Déda’étu jusqu’à Dar Elwa. Le gouvernement éthiopien estimait que ces accords, même périmés et dénoncés, pouvaient servir de base à de futures négociations).
À la veille de l’invasion de l’Éthiopie par l’Italie (1935-1936), l’Istituto Geographico Militare de l’armée italienne publia en 1934 des cartes détaillées de l’Érythrée au 1/400 000e (en particulier feuilles Asmara et Agordat) qui traçaient avec précision les frontières de la colonie avec l’Éthiopie.
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