La paralysie stratégique par la puissance aérienne dans les opérations interarmées
La puissance aérienne, qui devient maintenant et de façon irréversible la puissance aérospatiale, obéit à certains principes fondamentaux d’engagement qui peuvent encore paraître contradictoires, tant ils sont à la fois novateurs par l’étendue du milieu où se déroulent les opérations et par la rapidité de celles-ci, que par la permanence de certains principes de la guerre qui s’y appliquent toujours immuablement.
Après avoir brièvement rappelé les principes de la stratégie aérospatiale qui peuvent fonder une doctrine d’emploi, l’exposé montre comment les objectifs politiques (les fins de la guerre) sont intimement associés à des dominantes de forces et aux opérations qui en résultent (les fins dans la guerre). La paralysie stratégique y est définie et présentée comme le concept auquel s’adapte le mieux la puissance aérospatiale, naturellement épaulée par les forces opérant dans les autres milieux. Les méthodes de conduite de la paralysie développées par John Boyd et John Warden III sont ensuite présentées, et l’on y découvre le biais qu’introduit la perception du monde à partir d’un « État continent », depuis une puissance à la fois militairement dominante et géographiquement isolée.
Une méthode moins « césarienne » est alors tentée en proposant une nouvelle analyse du groupe humain en tant qu’objet stratégique, analyse fondée sur ses quatre composantes (les populations, les forces, les négociateurs et le pouvoir) et sur leurs liens mutuels (vitaux, moraux et mentaux). L’étude des relations entre ces êtres stratégiques « individuels » permet de proposer une analyse de la guerre définie prioritairement par sa fonction sociale, exutoire de la violence mutuelle des groupes qui tentent de s’imposer, dans ce que Raymond Aron appelait « la société des États ». Des méthodes d’étude fondées sur les travaux des sociologues, tels que P. Bourdieu et A. Touraine, sont proposées sous la forme d’une interrogation. Il y apparaît que le développement des sociétés semble devoir rester irréductiblement associé à une situation géopolitique nécessairement toujours proche du chaos, que la démographie, les communications sous toutes leurs formes et les structures supranationales de plus en plus développées étendent systématiquement à l’échelle planétaire.
Sous cet éclairage, on cherche à comprendre quelle fut l’histoire de la paralysie stratégique et pourquoi cette option, théorique et très ancienne, ne commence à être effective qu’à partir de l’avènement de la puissance aérienne. La question de l’avenir de cette paralysie est alors posée, tout d’abord en analysant les travaux de prospective conduits aux États-Unis et en Europe. On y retrouve encore le biais de la méthode « césarienne », plus ou moins bien plagiée par le Vieux Continent.
Une manière moins dominatrice et peut-être plus universelle d’aborder le concept de paralysie stratégique est alors tentée, en s’appuyant sur certains travaux récents qui remettent en selle l’idée d’utopie, qu’un déviationnisme sémantique et idéologique avait sans doute trop tôt fait disparaître. Les politologues et les stratégistes tels que P. Delmas, T. Delpech et F. Géré montrent, en France, la voie en la matière.
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En conclusion, il est fait appel à la « raison utopique » pour que la paralysie stratégique par la puissance aérospatiale, puissance qui ne pourra que s’étendre bien au-delà de l’immédiate proximité de la Terre, reste un moyen de retour à la paix, dans le respect des multiples identités nationales, et non un nouvel instrument de domination, dangereux pour l’avenir de l’espèce humaine, laquelle restera toujours démographiquement et technologiquement proliférante. La puissance aérospatiale serait ainsi le moyen privilégié à la fois de la paralysie évitant le chaos sociopolitique et de l’expansion de l’humanité. ♦