Les restructurations dans l'industrie aérospatiale en Europe
Nous savons qu’une entité politique n’a la maîtrise de son destin que lorsqu’elle dispose des moyens militaires d’assurer sa sécurité et celle de ses alliés, que lorsqu’elle peut influencer effectivement son environnement. Pour les pays européens, l’intervention dans les Balkans depuis huit ans correspond précisément à cet objectif d’influencer notre environnement immédiat dans le sens de nos valeurs partagées, de la paix, et du respect des droits. Cela passe nécessairement par un dispositif militaire plus cohérent appuyé sur un appareil industriel solide, préalable indispensable à un rapprochement politique inscrit dans la durée.
En effet, depuis près de deux années maintenant, la constitution d’une base industrielle de défense européenne forte et compétitive est une priorité de ce gouvernement, et celle-ci s’inscrit dans un cadre plus large, une ambition de long terme : rendre l’Europe « majeure » sur le plan de la politique internationale comme elle l’est devenue sur le plan monétaire, avec des effets de rééquilibrage au niveau mondial.
Dans ce cadre, notre objectif fondamental est de favoriser des alliances industrielles d’envergure en Europe afin d’équilibrer les fortes concentrations réalisées par l’industrie de défense américaine, et de répondre à une situation de marché nouvelle, moins porteuse, dont l’apparition remonte au début de cette décennie. Cette démarche doit permettre à l’Europe de maîtriser par elle-même les technologies les plus avancées, et de fournir à ses armées les meilleurs matériels au meilleur coût.
Il s’agit donc bien d’une démarche politique, d’une volonté de faire évoluer les choses sans s’en remettre exclusivement aux forces spontanées du marché, dans le sens d’une plus grande union des Européens. La cohérence politique de cette démarche a été précisée par la déclaration du 9 décembre 1997, signée conjointement avec les gouvernements allemand et britannique.
Une question se pose alors : qu’en est-il de la dimension transatlantique ? Est-elle mise à mal par la constitution d’une « forteresse Europe », selon l’expression consacrée, qui se définirait d’abord par son rejet de l’industrie américaine ? Telle n’est évidemment pas notre vision. Au contraire, des ensembles industriels européens forts et compétitifs seront plus attractifs pour nouer des alliances aux yeux des groupes américains, et il ne sera alors que plus facile d’envisager des partenariats équilibrés.
Revenons sur la démarche que nous avons choisie pour renforcer les capacités industrielles de défense en Europe. Depuis deux ans, le gouvernement a donné la priorité à la stratégie technologique et industrielle, et non aux considérations financières à court terme ou aux prises de positions idéologiques.
Ce gouvernement a opéré des regroupements pragmatiques et rationnels d’actifs industriels, en excluant toute idée de mise aux enchères d’entreprises publiques. Cet objectif s’est traduit par la constitution, maintenant achevée, d’un pôle d’électronique professionnelle et de défense regroupant autour de Thomson-CSF les éléments d’Alcatel pertinents de cette action et Dassault Électronique.
Par ailleurs, après quelques mois de travail seulement — et alors que ce dossier avait connu des tribulations variées depuis près de deux décennies —, le gouvernement a organisé la structuration d’un pôle aéronautique et spatial autour d’Aerospatiale-Matra. Nous avons également clarifié les conditions de la coopération entre cet ensemble Aerospatiale-Matra et Dassault Aviation.
Ces opérations de restructuration s’inscrivent dans une perspective européenne, sans pour autant exclure le partenariat transatlantique. Le nouveau Thomson-CSF, le futur ensemble Aerospatiale-Matra sont désormais en mesure de nouer des alliances européennes de grande envergure, et ils bénéficieront pour cela du soutien entier du gouvernement. Je sais que des discussions actives ont actuellement lieu en Europe entre les principaux acteurs industriels ; je souhaite qu’elles se concrétisent.
Je terminerai ce propos en insistant, au-delà de la logique industrielle, sur la logique politique qui organise ces restructurations : dans le domaine institutionnel, entre les États européens, nous sommes nous aussi en train de progresser. La Lettre d’intention que nous avons signée avec mes cinq collègues européens le 6 juillet dernier à Londres couronne un important travail déjà réalisé dans ce sens.
Par ailleurs, des relations plus dynamiques vont se développer grâce à la création maintenant conclue de l’Organisation commune de coopération en matière d’armements (Occar), qui conduira les programmes en coopération au nom des quatre États membres ayant les commandes les plus élevées : l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Italie et la France.
C’est donc en prenant en compte toutes les réalités qui s’imposent à nous, et en n’excluant aucun moyen possible, que notre gouvernement travaille à renforcer les capacités industrielles de l’Europe en matière de défense, en se rappelant que dans notre continent, comme aux États-Unis, les industries de défense sont un élément moteur des hautes technologies et, par suite, décisives pour notre place dans la compétition scientifique.
C’est notre conviction profonde qu’au-delà des habitudes et des pesanteurs, au-delà des revers de court terme, l’Europe de la défense va s’affirmer, et qu’elle le fera largement par l’amont, c’est-à-dire au niveau industriel. C’est vers cet objectif que convergent tous nos efforts. ♦