Un an après avoir évoqué les droits de l'homme en insistant sur les conceptions différentes de l'Occident et de l'Orient sur cette question, l'auteur, spécialiste de l'Asie de l'Est et du Sud-Est, poursuit ses réflexions en abordant l'action humanitaire. Dans ce domaine, très proche du premier d'ailleurs, il appelle notre attention sur ses diverses manifestations, ce qu'il appelé avec juste raison la Realpolitik.
Humanitaire et Realpolitik en Asie orientale
La conduite des peuples et de leurs gouvernements n’apparaît pas toujours en accord avec les principes que les premiers professent et que les seconds sont censés appliquer, au moins dans les régimes démocratiques. Ces dysfonctionnements sont constatés sans indulgence et dénoncés avec véhémence ou ironie par ceux qui ne partagent ces principes qu’avec réticence quand ils ne les récusent pas, se permettant ainsi de les violer, le plus souvent en toute impunité. Tel est le cas de certains États d’Asie orientale dans des conditions qui ont déjà été évoquées ici même (1). Le substrat culturel qui inspire certains comportements ayant été ainsi rappelé, il reste à analyser des cas concrets, notamment ceux où des conceptions différentes de l’homme et du monde provoquent des malentendus, des incompréhensions, voire des conflits. Notre époque, en effet, voit, grâce aux progrès techniques facilitant les échanges, la mondialisation passer du domaine strictement économique à une interférence accrue, banalisée même, des cultures et des civilisations.
Les précurseurs de l’humanitaire
Imposer la civilisation, chrétienne puis laïque, mais née en Occident, développée par la pensée occidentale et décrétée par celle-ci comme universelle donc unique, telle fut l’attitude justificatrice du dynamisme européen, relayé par celui de l’Amérique du Nord, depuis le XVIe siècle jusqu’à nos jours, des caravelles à l’Internet. Le colonial et le missionnaire apparaissent ainsi solidaires dans une démarche, ambiguë comme toute action humaine, mais dont la dimension humanitaire n’est nullement absente, contrairement à certains jugements partiaux qui, en Occident même, dénigrent systématiquement ce volet de son histoire. L’un et l’autre, souvent en collaboration étroite, non seulement soignent, nourrissent, éduquent, protègent, mais, séjournant pour de longues périodes, s’intéressent aux cultures, apprennent les langues, s’attachent aux populations. À la belle époque de l’impérialisme triomphant, en Asie, notamment en Chine, comme dans le reste du monde, les subventions pleuvent sur les missions protestantes, orthodoxes ou catholiques de la part des grandes puissances pour lesquelles les religions paraissent des instruments efficaces de leur propre influence, y compris lorsqu’elles pratiquent, pour leur propre compte interne, des politiques anticléricales comme la France de la IIIe République (2).
Les rivalités nationales font même parfois place à une « sainte alliance » des civilisés, y compris le benjamin d’entre eux, considéré avec réticence ou perplexité : le Japon ! Nous allons donc célébrer le centenaire de ce que l’on pourrait considérer comme la première « guerre humanitaire », puisque cette expression, pour le moins étonnante sinon paradoxale, est entrée dans le vocabulaire international et a même reçu des débuts d’application avec des succès inégaux. Cependant, il est incontestable que l’expédition dite des Boxers, de l’été 1900, sauva des vies humaines, même si ce fut au détriment d’autres vies, mais dont l’importance paraissait moindre dans la pratique et même dans les principes ; on n’avait guère de pudeur alors à émettre, en Occident, une telle opinion.
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