La secousse monétaire et la récession économique qui ont ébranlé l'Asie orientale dans les années 1997-1998 ont surpris la plupart des commentateurs. Avec le recul, et alors que beaucoup de pays de la région ont retrouvé la croissance, notre spécialiste se penche sur la nature exacte de cette crise du capitalisme et de la mondialisation.
L'Asie orientale après la crise
La crise qui a débuté en juillet 1997 en Thaïlande avec la dévaluation du baht s’est rapidement propagée à de nombreux pays de la zone, en particulier au Japon et à la Corée du Sud. Lorsque les turbulences monétaires ont atteint les grandes places financières de la planète, les observateurs n’ont plus parlé de crise asiatique, mais d’une convulsion mondiale. Les dysfonctionnements majeurs qui ont résulté de cette conjoncture perturbée ont montré les excès d’un capitalisme sauvage et les affres d’une mondialisation non maîtrisée. Ces deux paramètres ont d’une part alimenté des phénomènes de panique, d’autre part fait ressortir les conséquences pernicieuses des actions occultes de certaines organisations mafieuses. Ce deuxième aspect a mis en relief un écheveau d’économies parallèles qui échappe à tout contrôle étatique.
Scènes de panique et théâtre d’ombres
La loi de la jungle
L’onde de choc financière a d’abord touché les pays asiatiques dont la monnaie était liée au dollar (Thaïlande, puis Malaysia, Indonésie, Philippines). Les trois premiers sortaient d’une période de forte croissance pendant laquelle les banques avaient accordé trop facilement des crédits et pris des risques excessifs. Pendant cette phase d’euphorie et d’argent facile, les investisseurs ont pu emprunter des capitaux à bon marché, se lancer dans des projets immobiliers démesurés et développer des fonds spéculatifs qui ont fait gonfler la « bulle boursière ». La planète financière a commencé à se dérégler avec la forte montée du dollar au milieu de l’année 1997. Les détenteurs de devises thaïlandaises, malaysiennes, indonésiennes et philippines ont alors paniqué lorsqu’ils ont pris conscience que la hausse brutale du billet vert rendrait insupportable l’endettement, avec lequel, jusque-là, ils vivaient très bien. Le vent d’épouvante a gagné toute la région. Il s’est traduit par des mouvements de capitaux, désordonnés et précipités. La fièvre financière a notamment atteint les spéculateurs qui, taraudés par des cauchemars de faillite et enivrés par des rêves d’enrichissement outrancier, se sont livrés à des transactions confuses et hâtives. Ces trublions se sont transformés subitement en « docteurs Folamour » en quête d’une formule magique pour sauver leurs capitaux menacés. Cette conjoncture anarchique a déstabilisé les circuits bancaires.
Au cours de cet été de tous les dangers (1997), le paysage financier a été ébranlé par l’appétit excessif des intérêts marchands et l’hystérie des spéculateurs inconscients. L’onde de choc a pu facilement toucher les marchés financiers qui peuvent communiquer très rapidement par le truchement d’un écran d’ordinateur avec toutes les places boursières du globe. Or les Bourses ont souvent des réactions épidermiques qui ne sont pas toujours en phase avec les réalités économiques. De surcroît, les marchés sont fréquemment instables. Les spéculateurs et les investisseurs affolés ont ainsi forgé un univers virtuel dans lequel la fébrilité des « intégristes du marché » (1) a prévalu. Les marchés restent en effet particulièrement sensibles à la spéculation. Une étude de l’Unesco a souligné que, sur trois mille milliards de dollars qui circulent chaque année dans les réseaux financiers, 99 % correspondent à des transactions purement spéculatives et 1 % seulement à des opérations économiques réelles (2). Nous subissons ainsi les conséquences d’une « économie de casino » qui est sujette aux délires des spéculateurs. Cet univers dénaturé a été mis en relief au moment de la crise asiatique. Une telle interversion est favorisée par le développement de la mondialisation qui facilite la libre circulation des capitaux. Le tumulte qui a secoué l’Asie orientale a ainsi été occasionné par les aspects néfastes d’un capitalisme débridé. Ces débordements ont révélé l’impérieuse nécessité de mettre en place un code de conduite qui permette de réguler les flux financiers, donc de contrecarrer les opérations du capitalisme sauvage et la panique. En effet, ce sont bien ces deux phénomènes nocifs qui ont déclenché la bourrasque économique en Asie orientale. Les enseignements à tirer de cette tempête monétaire apparaissent aujourd’hui clairement : il importe de mettre un terme à la loi de la jungle qui caractérise les marchés.
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