L'auteur, docteur en sociologie politique et spécialiste reconnu de l'Asie du Sud, a effectué plusieurs séjours en tant qu'attaché militaire, en Inde et au Pakistan, avec accréditation simultanée au Népal, au Sri Lanka et aux Maldives. De plus, il a été responsable de cette zone au secrétariat général de la défense nationale. Il vient d'effectuer un long voyage d'étude en Inde au cours duquel il a rencontré d'anciens hauts responsables. Il nous livre ce-près ses réflexions sur l'importance des militaires dans la vie politique et économique de l'Inde. Cet article fait suite à celui qu'il a écrit dans le numéro de mars de cette revue sur le même thème mais concernant le Pakistan. Le contraste est saisissant entre ces deux grands pays, pourtant issus du même Empire colonial britannique.
Armée et politique en Inde
La place des militaires dans la nation indienne apparaît, depuis l’indépendance, comme relativement modeste. Cet article se propose de déterminer les causes de cet effacement puis d’analyser le rôle réel, en cours d’évolution, des actuels et anciens membres des forces armées dans la vie politique et économique.
Les raisons historiques de la faible influence des militaires
Les militaires n’ont à aucun moment occupé le devant de la scène politique. Les raisons de cet effacement sont multiples. Le pays disposait d’une élite civile administrative remarquable, formée sur le modèle britannique. Doté d’une Constitution dès 1950, il a, de plus, connu une grande stabilité gouvernementale pendant de nombreuses années après l’indépendance. L’assassinat du mahatma Gandhi en 1948 ne l’a nullement déstabilisé puisque Nehru restait aux affaires. L’Inde se sentait plus forte que ses voisins d’Asie méridionale et donc plus sereine. La Chine, devenue communiste en 1949 et longtemps en pleine restructuration, ne constituait pas initialement une menace. La priorité du Premier ministre Nehru, qui a occupé sans partage le pouvoir jusqu’à sa mort en 1964, n’était pas d’ordre militaire mais économique. La stabilité politique a favorisé le développement de l’industrialisation et de l’agriculture, même si les résultats n’ont pas satisfait les aspirations.
La défaite subie dans l’Himalaya pendant la guerre contre la Chine en 1962 a certes contraint Nehru à accorder davantage d’attention aux problèmes militaires. Comme les autres militants indépendantistes indiens de sa génération, à l’exception de Subhas Chandra Bose qui s’était allié aux Japonais contre les Britanniques au cours de la Seconde Guerre mondiale, le Premier ministre avait jusqu’alors presque totalement négligé les questions politico-militaires. Après la défaite contre la Chine, les forces armées ont augmenté de volume en ne recrutant plus exclusivement comme auparavant dans les classes aisées pour assurer l’encadrement. Devenues plus représentatives de la société, avec des officiers appartenant à toutes les classes sociales, elles restaient confinées dans leur rôle traditionnel de défense des frontières, à l’exception d’opérations ponctuelles de maintien de l’ordre et de mise en valeur de zones éloignées et peu développées. Elles ont alors disposé de ressources financières plus importantes, mais insuffisantes pour devenir un dispositif de combat de valeur.
Il reste 90 % de l'article à lire
Plan de l'article






